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LES ETRUSQUES : LANGUE,  ECRITURE,  NUMERATION


 L'essentiel de cette page est traduit du site de notre partenaire "
Mysterious Etruscans", 
 qui nous a aimablement autorisés à utiliser ses textes et ses illustrations.  
 Tous droits réservés. 


La Langue - les Textes - Alphabet et Lecture - Numération
L’idée fréquemment répandue que l’écriture étrusque est indéchiffrable est complètement fausse : la lecture de l'étrusque ne présente aucune difficulté.
Mais comme toujours, il faut ici bien distinguer ce qui est la langue parlée, de ce qui est son écriture c'est-à-dire la retranscription écrite des sons.

Parfois, les linguistes peinent à déchiffrer l’écriture d’une langue ancienne connue. Ici, c’est le contraire : les Etrusques utilisaient un alphabet bien connu, mais en revanche, nous avons du mal à comprendre ces textes que nous lisons facilement, car nous ignorons le sens de bien des mots écrits, et surtout nous ne connaissons que des rudiments des formes grammaticales de la langue.

La langue étrusque : des origines indéfinissables    


L’un des obstacles à la compréhension de la langue étrusque est qu’elle ne présente de parenté avec aucune autre langue connue, ce qui nous prive de points de repère… et ne nous éclaire pas davantages sur les origines de ce peuple.

L'isolement apparent de la langue étrusque avait déjà été noté par les Anciens et malgré des tentatives répétées, on n’a pu parvenir à établir des liens probants avec aucune autre langue, vivante ou morte.

On a bien noté quelques connexions avec des langues indo-européennes, en particulier les langues italiques, et également avec des langues non indo-européennes de l'Asie occidentale, du Caucase, de la mer Egée, d'Italie, de la zone alpine, et des substrats linguistiques méditerranéens indiqués par des noms de lieux. On a par exemple supposé une parenté entre l'étrusque et une langue présente dans l'île de Lemnos, (VIème siècle av. J.-C.) sur laquelle on a trouvé une stèle comportant des inscriptions en caractères proches de ceux des Etrusques. On mentionne aussi une parenté avec la langue rhétique (parlée dans les Alpes) selon quelques inscriptions trouvées.
Enfin, la langue de Camunic, sporadiquement notée dans le nord-ouest de l'Italie et écrite en alphabet étrusque, peut également lui avoir été liée, mais les preuves sont trop minces pour permettre toute conclusion sûre.

Certains linguistes estiment que la langue étrusque se serait détachée très tôt du tronc commun et serait apparentée au lycien, pour d’autres au lydien. On a ainsi été amené à classer l'étrusque comme pré-indo-européenne, proto-indo-européenne ou encore péri-indo-européenne : en fait, on aurait plutôt tendance à dire aujourd'hui que l'étrusque n'appartient pas au groupe des langues indo-européennes.

En conclusion, la langue n'est pas complètement isolée, mais ses racines sont très anciennes et mêlées à celles d'autres très vieilles langues langues parlées dans une aire géographique s'étendant de l'Asie occidentale à l'Europe est-centrale et à la Méditerranée centrale. Elle a ensuite pu évoluer au contact des langues pré-indo-européennes et indo-européennes de l'Italie.

Elle fut parlée dans l'ancienne Etrurie du VIIIème siècle av. J.C. à la période impériale de Rome. Ensuite, elle fut encore étudiée par des lettrés, prêtres et disciples. L'empereur Claude (mort en 54) a cité des historiens étrusques qu’il compare aux romains. Il existait donc encore des sources de son temps. La dernière mention de l’utilisation de l’étrusque est liée à l'invasion de Rome par Alaric, chef des Visigoths, en 410, lorsque des prêtres étrusques ont été sommés de provoquer la foudre contre les barbares.

Les textes en Etrusque    


On dispose aujourd’hui d’un corpus de plus de 10 000 inscriptions connues, et on continue d’en découvrir. C’est un chiffre considérable, bien supérieur à ce qu’on possède des autres peuples italiques (Sabins, Ombriens, Osques, Falisques, et même des Latins de la même époque).
La plupart des inscriptions proviennent de Campanie, du Latium, de Falère, Falisca, Véies, Caere, Tarquinia mais aussi d'endroits hors de l'Étrurie, suite aux échanges commerciaux (Sardaigne, Narbonnais, Corse, Afrique du Nord).

Il s’agit généralement de courtes inscriptions funéraires ou votives, d’abécédaires ou, comme en Grèce, d’"inscriptions parlantes", par exemple sur un vase, mini muluvanece avile vipiiennas qui doit se traduire par "j’ai été offert par Avile Vipienna" ou sur une tombe d’Orvieto, l’inscription mi aveles sipanas, "je suis (la tombe) d'Avele Sipana". Notons au passage que les Etrusques utilisaient des noms et des prénoms, ce qui n’était pas courant dans l’Antiquité.

Ces textes courts, trouvés sur les urnes funéraires, dans les tombeaux, inscrites sur des objets consacrés dans les sanctuaires, gravés sur les miroirs en bronze, des pièces de monnaie, des dés, de la poterie, ne posent pas trop de problèmes : du fait de leur répétition (épitaphes, inscriptions de propriété et de dons, présence de noms propres), on en saisit globalement le sens.
En revanche, dans les quelques textes plus longs qui ont été trouvés, les mots plus rares nous échappe souvent, en dépit des progrès récents. On sait simplement, "en gros" de quoi parlent ces documents.
Il faudrait découvrir par exemple un grand ouvrage littéraire : on sait qu’il existait une abondante littérature religieuse, et on connaît même le nom d'un auteur dramatique, Volnius, qui écrivit "des tragédies toscanes" sans qu’on sache précisément à quelle époque il vécut. Certains document ont été traduits en latin, mais pour l’essentiel, même les traductions en ont disparu.
On attribue une origine étrusque à quelques mots français provenant du latin qui les avait repris. L’ "histrion" qui désigne de manière péjorative un comédien, la "personne " (en latin, persona désignait le masque de théâtre, puis le rôle), qui viendrait de Phersu, un personnage masqué et barbu qui apparaissait dans les spectacles funéraires étrusques. Enfin "Mécène" était un ministre romain d'origine étrusque.

Les inscriptions les plus connues

Ainsi donc, si nous disposons d’une quantité d’inscriptions courtes, les textes d’une certaines longueur sont si rares qu’ils sont tous célèbres. Et on est loin de disposer d’une "littérature" ! Voici les exemples les plus marquants.

Les bandelettes de la momie de Zagreb ou "Liber Linteus",
Une momie trouvée en Egypte au XIXème siècle et rapportée en Yougoslavie par un voyageur (Musée national, Zagreb), était enveloppée dans une toile de lin, qui était en fait un livre de toile qui avait été découpé en bandes. Avec environ 1 200 mots écrits à l'encre noire sur la toile, ce texte du premier siècle avant J.C. est le plus long texte existant en langue étrusque. Il contient un calendrier et des instructions pour les sacrifices, suffisantes pour donner une idée de la littérature religieuse étrusque.

Les lamelles de Pyrgi
Trouvées en 1964 sur le site de l'ancien sanctuaire de Pyrgi, le port de Caere, ces plaquettes d’or gravées portent deux textes d’environ 40 mots, et un troisième rédigé en phénicien, une langue bien connue, sensiblement de même contenu. Voilà qui offrit des données importantes pour améliorer la connaissance de la langue étrusque ! La trouvaille est aussi un document historique important qui enregistre qu'un "lieu sacré" a été consacré à la déesse phénicienne Astarté dans le sanctuaire étrusque de Pyrgi par Thefarie Velianas, seigneur ou magistrat de Caere, au début du Vème siècle avant J.C.

Le livre d'or de Sofia
Six autres plaquettes en or similaires reliées par des anneaux, sont conservées au Musée national de Sofia. Elles comportent des représentations d'un cavalier, d'une sirène, une harpe, et un texte. Il existe ainsi une trentaine de feuilles d'or, selon la responsable du département d'archéologie du musée de Sofia. Le texte n’a pas encore été publié.

La Tabula Cortonensis
La Tabula Cortonensis, découverte près de Cortone en 1992 , comporte 32 lignes de texte en langue étrusque. Le texte de la Tabula concerne un accord de cession de terres entre deux parties, une sorte d’acte notarié.
Elle est faite de bronze (dimensions approximatives : 50 x 30 cm, avec une épaisseur moyenne de 2-3 mm). Elle a été découpée en huit fragments, dont l’un a malheureusement été perdu. Nous pouvons supposer que la table, une fois qu'elle avait rempli son office, a été brisée en vue de réutiliser le précieux métal dont elle était faite..

Le "Cippo perugino"
Le cippo perugino (cippe de Pérouse) est une stèle (cippe) découverte à Colle San Marco en 1822, qui porte elle aussi un contrat foncier entre deux familles (Musée national d'Archéologie de l'Ombrie)

La Tabula Capuana
Une tablette en terre cuite datant du Vème siècle av. J.-C. a été trouvée à Capoue en 1898. Elle contient un texte religieux (calendrier rituel) de près de 400 mots. Elle est conservée à Berlin.

Alphabet et lecture    


Autant la langue est problématique, autant l’écriture est sans grand mystère.

Il s’agit d’une écriture purement alphabétique, sans idéogrammes, dont l’origine ne fait aucun doute. Le premier alphabet a été inventé par des hommes de langue sémitique dans le proche-orient antique, bien que le cananéen et les alphabets phéniciens qui ont suivi comprenaient seulement les consonnes et pas de voyelles.
Les Grecs ont dérivé leur alphabet de celui des Phéniciens et y ont ajouté les voyelles, aboutissant ainsi au premier alphabet véritable – avec cependant des variantes locales. Des Grecs d'Eubée (colons ou prospecteurs de ressources minières), sont entrés en contact avec les Etrusques et leur ont transmis leur alphabet (une variante occidentale) au VIIIème siècle av.J.C.

Bien sûr, les Etrusques doivent adapter l’alphabet aux particularités phonétiques de leur langue. Certaines consonnes leur sont inutiles, d’autres sont utilisées pour des sons différents, et ils ajoutent quelques signes comme un f et le "san", une variante du s. Bien entendu, il existe aussi, d’une région étrusque à l’autre, des petites variantes locales, et puis quelques évolutions dans le temps. Ils écrivent le plus souvent de droite à gauche.

Ce sont ensuite les Etrusques qui ont transmis l'alphabet aux Romains, qui vont à leur tour l’adapter à leurs besoins, et écrire de gauche à droite. L'alphabet étrusque s’est aussi diffusé à la fin de la période archaïque (vers 500 av. J.C.) en l'Italie du Nord, devenant le modéle des alphabets des Venètes et de diverses populations alpines. Ceci s'est produit en même temps que la formation des alphabets Osques et Ombriens dans la péninsule. Il est même possible que les runes germaniques (le Futhark) soient dérivées de l'alphabet de l'Etrurie du nord.

En passant, on remarquera que les abécédaires étrusques trouvés figurent souvent sur des matériaux assez précieux, et que l’on trouve de nombreuses inscriptions sur des objets féminins (bobines, miroirs…), ce dont on pourrait conclure que l’écriture était surtout pratiquée par les aristocrates, et que les femmes n’étaient aucunement écartées de l’enseignement.

Un petit exercice de lecture !

Ce qui suit est une tentative de traduction de la (première) lamelle de Pyrgi, fondée sur un certain nombre de sources. Dans la translittération, on a utilisé un K majuscule pour représenter la lettre étrusque "ch" (comme dans Bach en allemand). La lettre étrusque qui ressemble au thêta grec, prononcé comme le "th" de thing, en anglais est représentée par la lettre "q".

Etrusque Original:

Translittération:

ita.tmia.icac.he
ramasva.vatieKe
unial.astres.qemia
sa.meK.quta.qefa
riei.velianas.sal
cluvenias.turu
ce.munistas.quvas
tameresca.ilacve.
tulerase.nac.ci.avi
l.Kurvar.tesiameit
ale.ilacve.alsase
nac.atranes.zilac
al.seleitala.acnasv
ers.itanim.heram
ve.avil.eniaca.pul
umKva.
Traduction approximative:

Ce temple et (cette) statue ont été consacrés à Uni / Astarté. Thefariei Velianas, chef de la communauté, en a fait don pour le culte de nos peuples. Ce don de ce temple et sanctuaire et la consécration de ses frontières au cours de son mandat de trois ans au mois de Xurvar (juin?) de cette manière, et dans Alsase (juillet?) Ce mémorial et la divinité / statue doivent donc être enterrés par ordre du Zilach, que ses années puissent durer plus longtemps que les étoiles.


Autre exemple, une inscription funéraire de Tarquinia, citée par Jean-Paul Thuillier, qui illustre les limites de ce que nous savons et de ce que nous ignorons…

FELSNAS:LA:LETHES - SVALCE:AVIL:CVI - MVRCE:CAPVE - TLECHE:HANIPALVSCLE

"Larth (prénom) Felsnas (nom de famille), fils de Lethe (nom du père, qui peut signifier esclave ou descendant d'esclave), a vécu 106 ans. Il a (.?.) Capoue (.?.) par Hannibal".
Les verbes MVRCE (actif) et TLECHE (passif) restent mystérieux. Cela signifie-t-il par exemple que le défunt a "défendu Capoue assiégée par Hannibal" "repris Capoue conquise par Hannibal" ou "restauré Capoue ruinée par Hannibal" ?

Et les chiffres ?    


Tout d’abord, le système étrusque est à base 10 (décimal). Il est inspiré du système en usage à Athènes dont les "chiffres" étaient en fait la première lettre du mot qui les désignait (à l'exception de celui pour 1, un simple trait), à savoir :
  • I pour 1 (un trait),
  • G pour 5 (PENTE, cf la forme ancienne de la lettre"P" dans l'alphabet en haut de page)
  • D pour 10 (DEKA),
  • H pour 100 (HEKATON),
  • C pour 1000 (CILIOI),
  • M pour 10000 (MURIOI),
Ils écrivent :

Comme leur alphabet, les Etrusques ont transmis leurs chiffres aux Romains. Cependant, pour les nombres, les Étrusques écrivent IIII pour 4 (et non pas IV comme le font les Romains), mais pratiquent systématiquement la soustraction pour exprimer des nombres proches de l’unité supérieure, par exemple pour 17 (ci-em zathrum : 3 ôté de 20), 18 (esl-em zathrum : 2 ôté de 20), 19 (thun-em zathrum : 1 ôté de 20). Les Romains l’utilisent moins fréquemment : ils écrivent XIX pour 19, mais ils écrivent XVIII pour 18 et non pas XIIX.

On remarquera que les outils numériques chez les Etrusques, comme chez les Grecs et les Romains, n’étaient guère pratiques par rapport aux nôtres (imaginez-vous comment diviser CLXVII par XIX ???), mais même si certains systèmes antiques sont plus commodes, l’arithmétique resta longtemps une technique bien complexe ! Enfin, il faut noter que les noms des chiffres n’apportent aucun éclairage sur les origines des Etrusques : ils ne ressemblent à ceux d’aucune autre langue ancienne: