Ressources pédagogiques sur l'archéologie méditerranéenne |
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Apprendre le latin ou le grec au collège et au lycée ? | ||
Apprendre des langues anciennes dès le collège était généralement simple... jusqu'à la rentrée 2015. L'enseignement du latin était chose courante, et le grec encore assez fréquemment proposé. C’était à la fin de l’année scolaire de sixième, au printemps, que les professeurs venaient présenter ces options aux élèves. Environ 20% des élèves y souscrivaient. Dans quelques collèges, l'étude du grec ancien était également possible dès la cinquième, mais le plus souvent à partir de la troisième. Et voilà que tout change en 2016. Dès la rentrée 2016 et quoi qu'en dise le ministère de l'Education nationale, l'enseignement des "Langues et cultures de l'Antiquité" disparaît pratiquement des programmes. Il est "remplacé" (avantageusement, voudrait-on nous faire croire) entre la 5e et la 3e, par des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) dans au moins 6 des 8 domaines définis par le ministère, parmi lesquels figure une option "langues et cultures de l’Antiquité" (les autres titres sont : "transition écologique et développement durable", "corps, santé, bien-être et sécurité", "culture et création artistiques", "information, communication, citoyenneté", "sciences, technologie et société", "langues et cultures régionales et étrangères", "monde économique et professionnel"). | ||
Mais quand bien même l'établissement choisirait cette option parmi les 6 qu'il retient, le nombre d'heures n'y est pas, et le saupoudrage de notions sur l'Antiquité dans différentes disciplines (Français, Histoire...) n'y changera rien. En attendant de voir à quoi aboutira réellement cette réforme, on ne peut que craindre un effondrement de la culture humaniste... Dans l'intervalle, parlons donc seulement du Lycée, où l'enseignement des cultures anciennes est proposé en option. Elle entre bien sûr en concurrence avec d'autres matières facultatives... sans compter celle des multiples domaines qui s’ouvrent aux jeunes hors scolarité. Au baccalauréat général, les options latin et grec peuvent être présentées à l'oral. En série littéraire, une langue ancienne peut s'intégrer en tant que spécialité au tronc commun d'études. |
Le latin et le grec sont partout et parfois même sous leur forme originale: Album, alibi, agenda, aquarium, alinea, a priori… et cetera ! |
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La mythologie est parmi nous Y pensez-vous en voyant ces marques ? |
Il est vrai que ces options demandent un travail régulier et non négligeable, ce dont il faut tenir compte : à peine un tiers des élèves qui ont choisi le latin en 5ème, poursuivaient cette étude en seconde. Même si vous êtes "sorti de l’école", tout n’est pas complètement perdu : il n’y a pas d’âge pour apprendre une langue (même si le plus tôt est évidemment le mieux), et l’on trouvera des méthodes de latin ou de grec ancien sur internet... et jusque chez le célèbre éditeur Assimil… Pourquoi apprendre le latin ou le grec ancien? Les Enseignants de Lettres Classiques, qui dispensent l’enseignement du grec ancien et du latin, en mettent régulièrement en avant tous les avantages :
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Mais, plus important encore, cet enseignement, par l’examen de textes anciens, historiques ou littéraires majeurs, conduit à mieux situer sa pensée dans le temps, dans le contexte de 2500 ans d’évolution des croyances, de la vie quotidienne, de l'art. Il forme ainsi à devenir un citoyen responsable et un être humain tolérant. Combien de fois ai-je entendu, à Pompéi, Athènes ou ailleurs, des visiteurs voyant les restes des bâtiments, dire "décidément, on n’a rien inventé!". Eh bien il en est de même des choses de la pensée et des sentiments. Nadia Pla développe ces aspects dans son blog "Chemins antiques" et y cite notamment un texte de Fernand Robert : "Ce qui est excellent, et que les études classiques seules produisent, c’est l’habitude, acquise dès les plus jeunes années, et pour la vie entière, de penser, non seulement que tout est dit, mais que tout a été déjà senti, éprouvé, que rien ne se passe dans notre âme qui ne se soit déjà passé dans d’autres âmes, et depuis qu’il y a des hommes, et qui pensent, et qui sentent. |
Timeo Danaos et dona ferentes Je crains les Grecs, surtout quand ils portent des offrandes. | |
Ce dont nous avons besoin par-dessus tout dans notre vie morale, c'est de ne jamais nous croire singuliers, et c'est de ne jamais nous sentir seuls. Il n'est pas humaniste, celui qui dit : "Je suis ainsi, et il faut me prendre comme je suis". Notre premier mouvement est de nous complaire en nous-mêmes, et toute la morale, tout l'apprentissage de la vie en société, c'est de nous guérir de ce mouvement-là". Même si, plus tard, on ne se sent plus capable de lire un texte latin couramment, ces traces-là au moins resteront. | ||
Latin et grec: est-ce difficile? Apprendre une langue, quelle qu’elle soit, est à la fois facile (un enfant de 4 ans y arrive) et difficile, quand il s’agit d’une langue "étrangère". Mais là aussi, c’est la première langue qui semble la plus difficile : autant commencer le plus tôt possible. Plus on apprend de langues, plus on dispose de points de repère. C’est grâce à cela que certains parlent 4, 6 langues ou plus. Les parents (ou aujourd’hui les grands-parents...) qui ont étudié les langues anciennes, en gardent souvent un souvenir un peu douloureux, bien que non dénué d’une certaine fierté : nos ancêtres ont peiné sur les déclinaisons, les "versions latines" (traductions latin-français)... ne désigne-t-on pas parfois encore les "grosses têtes" du lycée comme des "forts en thème" (traduction français-latin ou français-grec...)? | ||
Si les langues anciennes ne sont évidemment pas devenues plus faciles avec le temps, l’enseignement en a beaucoup évolué, jusqu'à prendre des aspects ludiques, avec parfois la complicité des animateurs de musées. Langues anciennes et nouvelles technologies ne sont pas incompatibles! Il n’en reste pas moins que, au-delà du voyage de fin d'année à Rome ou du côté passionnant des mystères de l’archéologie, une langue ancienne reste une matière scolaire, ce qui implique deux à trois heures de cours par semaine et des devoirs à faire. | Alea jacta est Les dés sont jetés (Jules César) | |
"Après l'enthousiasme de la cinquième, les élèves ont tendance à baisser les bras en quatrième. Mais dès la troisième, ils se rendent compte qu'ils sont capables de traduire des textes, grâce à toutes les connaissances acquises”, constate Nadia Pla.
Ainsi, certains élèves se découragent ou se désintéressent simplement de cette activité au profit des milliers d’autres qui viennent tenter l’adolescent... mais à l’inverse, d’autres se passionnent, jusqu’à s’orienter avec enthousiasme vers des carrières littéraires, historiques, culturelles. Là comme ailleurs, la personnalité de l’enseignant joue un rôle majeur, et l’on se souvient avec nostalgie ou avec ennui du "maître" tout autant que des cours. Mais à quoi ça va me servir? | ||
Autrefois, la question allait presque de soi : le latin était presque inévitable si l’on voulait être cultivé, et connaître le grec était une marque de qualité sociale : un intellectuel "faisait ses humanités". Dans le sens commun, le latin était une marque d’ascension sociale : c’était l’enseignement suivi par les notables ; le médecin connaissait le latin (on l’a assez reproché à ceux de Molière), le notaire parlait latin (on cherche à en effacer les traces dans le vocabulaire juridique), le curé bien sûr parlait latin, la langue de la messe, elle aussi passée depuis au français. Mais aujourd’hui, la question de faire des enfants des "hommes cultivés", des notables, est passée au second plan : qu’ils trouvent déjà un travail, une position sociale bien rétribuée ! A quoi serviront pour cela le latin et le grec !? N’est-ce pas qu’une survivance d’un temps révolu ? Dans l’esprit des parents, les "latinistes" et "hellénistes" restent une élite où ils apprécieraient de voir s’insérer les enfants: c’est le domaine des meilleurs ; quant à savoir s’ils sont meilleurs à cause des langues anciennes, ou s’ils ont choisi celles-ci parce qu’ils avaient déjà le goût de l’étude... |
Ad hoc A cet effet ; qui convient C'est maintenant qu'il faut boire. Horace, à l'occasion de la victoire d'Actium (avec modération). | |
Cave canem Attention au chien |
Il faut dire que, si les levées de boucliers en faveur de l’enseignement classique sont fréquentes, elles sont très souvent le fait des enseignants de lettres classiques. Ne font-ils pas que défendre leur chapelle ? A preuve, ils ne luttent pas tant pour attirer les élèves, que pour établir (rétablir ?) leur position au regard des Pouvoirs Publics et de l’Académie. Alors, utiles ou non, le latin et le grec ? Et qui est, finalement, à même de décider ce qui sera utile ou non ? Ce qui est certain, c’est que rien n’est jamais utile à tous : si tous les jeunes suivaient les mêmes filières, les mêmes enseignements, le monde deviendrait vite d’une effroyable monotonie, alors que justement il a besoin d’êtres divers. Se distinguer par sa formation, comme par ses talents, peut être un atout. A l’inverse, personne ne remet en cause l’utilité des mathématiques, alors que – et là je parle de mon expérience personnelle – bien qu’ayant suivi un cursus d’ingénieur et une carrière technique de plus de 40 ans, je ne me souviens pas, depuis la sortie du lycée, avoir eu à examiner une seule fois les variations d’une fonction 3x2+2x-5, ou même d’avoir eu à extraire une racine cubique... A l’inverse, le souvenir de choses inutiles en apparence, m’a souvent servi bien davantage. Comme quoi, qui saura ce qui est utile ou non ? | |
Ce qui est utile à l’un ne le sera pas à un autre, et toute connaissance rare sera précieuse (je me souviens des ponts d’or que la Communauté Européenne était prête à offrir à des interprêtes finnois-grec moderne). En bref, même si l’on laisse de côté les questions culturelles et qu’on choisit un point de vue purement matérialiste, il vaut souvent mieux avoir un petit talent rare qu’un grand talent banal. | Fiat lux, et lux fuit Que la lumière soit, et la lumière fut | |
Et pourquoi pas les hiéroglyphes, pendant que vous y êtes? Et en effet, après tout : pourquoi pas ? Il faut bien des égyptologues, et je connais des spécialistes qui vous lisent des inscriptions cunéiformes comme le journal du matin, et exercent leur métier avec passion. Plus sérieusement, le latin et le grec ont une propriété particulière. Si elles ne sont plus parlées de nos jours, ces langues que l’on dit « mortes » ne le sont pas vraiment: elles vivent encore à travers toute notre civilisation occidentale. Rendons hommage ici aux enseignants qui luttent aujourd’hui pour que ne meure pas, non pas le latin ou le grec (ces langues étant déjà qualifiées de "mortes"), mais l’enseignement de ces langues. Chaque année, on leur impose, et parfois sans raison évidente semble-t-il, des limitations supplémentaires. Comme un arbre, une civilisation dont les racines se meurent, risque de voir son avenir compromis. Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. Enfin, si vous vous demandez comment s'organise l'enseignement du latin et du grec dans d'autres pays, voici trois liens qui vous informeront sur la situation |