Le phénicien était une langue sémitique, plus précisément du groupe des langues cananéennes dans lequel on classe l’hebreu, le phénicien, le philistin, le moabite, etc. Il était parlé dans la région appelée "Canaan" en phénicien, en hébreu et en araméen, Phénicie en grec et en latin, Pout en égyptien ancien.
Le phénicien et l’hébreu ancien sont d’origine commune, et se sont écartés l'un de l'autre selon les caprices de l’Histoire tout en restant très proches.
Les relations commerciales avec les pays voisins ont fait pénétrer dans la langue phénicienne des mots syriaques, egyptiens, etc. A l’inverse, la langue des navigateurs phéniciens a influencé celle des pays qu'ils cotoyaient, et s’est bien sûr propagée dans leurs colonies.
Il existait des variantes locales de la langue phénicienne, comme le giblite parlé dans la région de Byblos, qui est le dialecte le plus proche de l'hébreu, et le sidonien, le plus répandu, donc considéré comme le plus caractéristique.
En tant que colonie phénicienne, Carthage adopta un phénicien qui a subi l’influence des pays voisins, des dialectes libyques par exemple. Le punique (ou carthaginois) était parlé sur la côté d’Afrique du nord. Après la chute de Carthage en 146 av. J.C., cette langue a rapidement disparu, noyée dans de nouveaux dialectes.
D’autres dialectes portaient la trace du phénicien, comme le néo-punique parlé vers la fin de la République romaine, et le liby-phénicien de l'Espagne méridionale, très peu connu. On retrouve aussi des traces de phénicien dans la langue maltaise.
Tombeau d'Ahiram
On dispose de nombreuses écrits en phénicien, mais il s’agit en majorité de courtes inscriptions et de dédicaces (par exemple celle des rois de Sidon à l’époque Perse, ou sur des médailles de Carthage). Les termes en sont très répétitifs et le plus souvent à caractère officiel ou religieux. Parmi les textes les plus célèbres, on citera les inscriptions gravées sur un sarcophage à la mémoire d'Ahiram roi de Byblos, et plus tard sur celui du roi Echmounazor (ou Echmunazar, musée du Louvre).
Bien que se consacrant presque exclusivement au commerce, les Carthaginois ont certainement disposé d’une littérature. Les auteurs romains l’évoquent et la citent parfois. Selon Pline, il y avait des bibliothèques à Carthage. Columelle parle d'un ouvrage écrit par Magon sur l'agriculture, que Silanus traduisit en latin. Salluste mentionne des livres puniques qui avaient appartenu à Hiempsal, roi de Numidie. On note un monologue de dix vers et quelques phrases détachées dans le Paenulus de Plaute. Un "Périple du navigateur Hannon" était suspendu dans le temple de Baal à Carthage.
En fait, aucun écrit d’importance ne nous est parvenu, si ce n’est sous la forme de traductions très fragmentaires. Les supports courants étaient trop périssables pour subsister jusqu’aujourd’hui - à moins qu'ils n'aient été réutilisés, comme des ardoises.
On a trouvé à Malte, en 1694, deux stèles (les "cippes de Melqart") datées du IIème siècle av. J.C., dédiées au dieu Melqart seigneur de Tyr (assimilé à Héraclès par les Grecs) et portant une inscription bilingue en phénicien carthaginois et en grec. Ceci permit à l'abbé Jean-Jacques Barthélemy de déchiffrer l'alphabet phénicien en 1758.
Les dernières inscriptions en phénicien pur datent du Ier siècle av. J.C. Pendant quelques temps encore, les Phéniciens écrivent sur les monnaies le nom de leur ville en alphabet phénicien, mais ce sont les écritures grecques et araméennes qui prennent le devant de la scène.
Dans les derniers siècles de Carthage, les inscriptions semblent limitées aux dédicaces monumentales. L’écriture y prend d’ailleurs une forme plus stylisée (néo-punique) qui s’impose après la destruction de Carthage en 146 av J-C dans la Tripolitaine et en Afrique du Nord, où elle survivra jusque vers le Ier siècle de notre ère.
Dès le 4ème millénaire av. J.C., les grandes civilisations de la Méditerranée possédaient un système d'écriture, reposant sur la transcription des idées à l’aide de pictogrammes.
Les hiéroglyphes égyptiens faisaient appel à plusieurs centaines de pictogrammes.
En Mésopotamie, les Sumériens utilisaient un système analogue dans sa structure, mais les signes, également pictographiques, étaient dessinés à l’aide d’un outil en forme de coin, d'où le nom d' "écriture cunéiforme". Ces signes étaient aussi employés pour leur valeur phonétique, qui représentaient un son ou plusieurs (une syllabe par exemple). L’écriture cunéiforme fut utilisée ensuite par d’autres populations voisines (Akkadiens, Assyriens, Babyloniens) qui l'adaptèrent à leur langue (ci-contre, un "cone de fondation", vers 1950 av. J.C.). Ce système avait donc un rayonnement régional, sinon universel.
Enfin, les Crétois pratiquaient également une écriture composée de pictogrammes représentant des syllabes. On distingue habituellement 4 types d’écritures successives : hiéroglyphique A ou archaïque (de 2100 à 1900 av. J.C.), hiéroglyphique B (1900-1750 av. J.C.), linéaire A (1660-1450 av. J.C.)., et linéaire B (1450-1200 av. J.C.). Ce dernier a été déchiffré en 1952. Ses 90 signes retranscrivent une forme de grec ancien.
Placée entre la Mésopotamie et l'Egypte, en relation constante avec ces deux pays, la Phénicie subit leur influence, et s’essaya dès le 3ème millénaire à écrire des documents en égyptien et en cunéiforme. Au début du 2ème millénaire, elle recherche et expérimente des systèmes originaux plus simples.
Nous en citerons trois :
Les inscriptions proto-cananéennes (dites aussi pseudo-hiéroglyphiques), qui se rapprochent beaucoup des hiéroglyphes égyptiens. Cette écriture reste indéchiffrée à ce jour.
Les inscriptions proto-sinaïtiques (ou paléosinaitiques), indéchiffrées pour l’essentiel, ont été trouvées sur le site de Serabit el-Khadim dans le Sinaï, où les Egyptiens exploitaient des mines de turquoise. Ces inscriptions (datant d’environ 1800 ou 1500 av. J.C) transcrivaient une langue sémitique en utilisant 25 signes, un nombre qui suggère un alphabet. Leur forme ressemble à des hiéroglyphes égyptiens simplifiés autant qu’à des lettres phéniciennes.
Enfin les tablettes cunéiformes d'Ougarit, trouvées depuis 1929 sur le site syrien de Ras Shamra, l’antique Ougarit. Datant du XIIIème siècle av. J.C., elles portent une écriture cunéiforme dont les signes sont différents de ceux qu’employaient les autres langues de la région.
Les signes utilisés sont peu nombreux (une trentaine seulement),et l’on découvre des abécédaires destinés à l'apprentissage de l'écriture (ci-contre). Il existe donc à la fois un alphabet et un ordre alphabétique, inventés pour écrire la langue d’Ougarit, une langue sémitique proche du phénicien. Les textes trouvés traitent de sujets divers (documents diplomatiques, commerciaux, juridiques, etc.).
L’écriture phénicienne est-elle une nouvelle invention, ou une suite logique de l’un de ces systèmes ? Entre les signes hiéroglyphiques simplifiés et un alphabet cunéiforme, une chose est sûre : l’évolution était mûre pour créer un alphabet composé de signes simples.
Il faut voir que cela représente une véritable révolution, car les signes ne sont plus des idéogrammes, mais des dessins qui représentent uniquement un son, une notion qui demande une capacité d’abstraction nouvelle.
Les plus anciennes inscriptions phéniciennes utilisant cet alphabet viennent de Byblos et remontent à 1100 av. J.C. Il s’agit d’un système consonantique (abjad), sans indication des voyelles, ce qui, pour les langues sémitiques, ne constitue pas un obstacle majeur, même de nos jours. La structure de la langue y place les racines des mots sous forme de suites de consonnes simples, dont la prononciation ne fait que préciser le sens.
L’alphabet comporte 22 lettres, et le sens de la l’écriture, au début incertain semble-t-il, se fixe : la lecture se fait de droite à gauche. Fait significatif, l’ordre des lettres est celui déterminé à Ougarit.
L’origine du tracé des lettres n’est pas parfaitement claire, d’autant qu’il varie fortement selon les régions et les époques. II a cependant été rapproché des hiéroglyphes égyptiens, et on a pu établir que le nom de la lettre désigne ce qu’elle représentait à l’origine. Par example, le nom de la première lettre est aleph, ce qui signifie “boeuf”, et son tracé ressemblait au départ à celui d’une tête de bœuf.
L'alphabet phénicien a été le premier à être employé couramment et la plupart des systèmes d'écriture alphabétiques en découlent, y compris le grec, l'étrusque, le latin, l'arabe, l’hébreu, puis une part essentielle des écritures de notre temps.
Très vite, l'alphabet phénicien est repris par les peuples voisins, Araméens, Hébreux, qui le font évoluer à leur manière. Les marins diffusent l’alphabet phénicien dans les ports et les comptoirs commerciaux de Grèce, de Chypre, d’Anatolie, de Malte, de Sardaigne, d’Afrique du Nord et jusqu'en Inde, chacun l’adaptant à ses besoins, éventuellement en changeant la forme des lettres, comme à Carthage (écriture punique).
Les Grecs l’adoptent vite, mais y ajoutent une innovation : tout en adaptant l’alphabet à leur langue, ils y incluent des signes pour représenter les voyelles.
De même que leur mode d’écriture, les Phéniciens connaissaient les méthodes de calcul des Egyptiens (à base décimale) et des populations de Mésopotamie, dont la numération peut étonner, puisqu’elle comportait seulement 3 chiffres : le 1, le 60 et accessoirement le 10.
Soit dit en passant, ce système devait poser de sérieux problèmes et rendait le calcul mental quasiment impossible. On a donc fort logiquement retrouvé nombre de tablettes cunéiformes comportant des tables aidant au calcul arithmétique (multiplications, inverses, carrés, et même des opérations complexes). Les plus anciennes étant antérieures à 2300 av. J.C., on pense que l’origine de ce système remonte aux Sumériens. Mais ce système possédait aussi quelques avantages (dont une division simple par 2, 3, 4, 5, 6, 10, 12, 15 etc.), puisqu’il s’est transmis jusqu’à nos jours dans le calcul des angles (360°) et du temps…
Les Phéniciens, selon l’historien grec Strabon, étaient les premiers arithméticiens du monde. Sans doute leur vocation commerciale explique-t-elle ceci. Comme les civilisations voisines, ils ignorent l’usage du zéro. Comme les Babyloniens, ils utilisent un nombre restreint de chiffres, mais ce ne sont pas les mêmes : ils utilisent le 1, le 5, le 10, le 20 et le 100.
Le tracé en est logique à la base : une barre verticale pour le 1, horizontale pour le 10, deux barres horizontales jointes pour le 20, etc. Mais de nombreuses variantes seront utilisées.
L’écriture des nombres est un peu plus complexe : nécessitant souvent beaucoup de chiffres, ces derniers sont regroupés par 3, et se lisent de droite à gauche :
La table ci-contre donne de nombreux exemples (avec différentes écritures le cas échéant) qui clarifieront les signes utilisés et la manière de les associer.