Le théâtre figure parmi les inventions majeures de la Grèce antique et, de près ou de loin chacun connaît quelques tragédies grecques, quelques auteurs, et aussi l’impressionnante architecture des grands théâtres.
On sait moins à quel point les spectacles antiques faisaient appel aux meilleures technologies de l’époque pour rendre les représentations mémorables.
Voir et entendre
La disposition du théâtre antique, avec ses gradins disposés en arc de cercle, suffit à constater que les architectes avaient bien compris comment configurer la construction pour que des milliers de spectateurs puissent accéder facilement à leur place et voir confortablement toute la scène.
Il est plus difficile de saisir la subtilité des mesures appliquées pour que le spectateur du gradin le plus élevé puisse saisir chaque mot que prononçaient les acteurs. Lorsque vous visitez un théâtre antique, on ne manquera pas de vous montrer que le bruit d’une pièce de monnaie, lâchée au centre de la scène, sera audible jusqu’aux rangs les plus éloignés. Les acousticiens de notre époque s’émerveillent toujours de la perfection du théâtre antique: tous les sons, aigus ou graves, peuvent se propager à la perfection sans distorsion et sans écho.
Les effets spéciaux
Spectacles de qualité, cadre grandiose, circulation aisée parmi les gradins, acoustique parfaite… Tout aussi extraordinaire que ce soit, cela ne suffit pas: comme aujourd’hui, le spectateur voulait être étonné et, comme aujourd’hui, la mise en scène devait apporter une part de rêve avec des effets spéciaux, sonores ou visuels.
Et comment y parvenir sans la panoplie des équipements de sonorisation et d’éclairage qui nous semblent aujourd’hui si communs?
Les effets sonores
Bien sûr, la voix des acteurs, les intonations, les choeurs, contribuaient au spectacle. Mais les bruitages étaient déjà connus et les Grecs savaient produire le bruit de la pluie, du sabot des chevaux annonçant l’arrivée d’un nouveau personnage, ou de la foudre précédant une intervention divine.
Pour suggérer le tonnerre, on utilisait le brontéion, un baril empli de pierres qui grondaient en roulant sur des feuilles de métal (parfois un sac de galets que l’on laissait rouler sur des tôles).
Si les masques ne jouaient pas le rôle de porte-voix qu’on leur a parfois attribué, il semblerait que certains personnages parlaient parfois au-dessus d’une grande jarre de terre cuite qui leur conférait une voix de basse impressionnante.
Les effets visuels
Les personnages eux-mêmes portaient des effets visuels: bien sûr les masques qui symbolisaient les personnages et leurs sentiments (au IIe siècle, Julius Pollux identifie 76 types de masques : 44 modèles comiques, 28 modèles tragiques et 4 modèles de drame satyrique). Ces masques se distinguent non seulement par leur forme, mais aussi par leur couleur (rouge pour les satyres, blanc pour les femmes, etc.). Ainsi, même assis au dernier rang, on savait qui était qui.
Le costume lui-même participait à définir le personnage et, selon la tradition, certains portaient des cothurnes à haute semelle qui leur conféraient davantage de prestance.
Les Romains ajoutèrent au théâtre un mur de scène qui pouvait faciliter certains effets visuels. Les Grecs, pour leur part, savouraient, en arrière-plan, une vue sur le large panorama ouvert que favorisait la conception des théâtres, souvent taillés à flanc de colline.
Les machineries de théâtre
Dès la naissance du théâtre, une multitude d’inventions sont venues agrémenter le spectacle, avec des réalisations telles que l’escalier de Charon (un passage souterrain caché supposé descendre vers le monde des morts), des trappes permettant l’apparition et la disparition rapide de personnages ou d’objets, et surtout la mèchanè (en grec mhcanh, « machine ») dont nous est parvenue l’expression latine « Deus ex machina » (les images des maquettes ci-dessous sont issues du Musée des technologies des Grecs de l’antiquité, https://kotsanas.com/en/exhibits/).
L’apparition divine, Deus ex machina
Il s’agissait d’une sorte de grue composée d’une longue poutre reposant sur un socle permettant de la relever, et montée sur un pivot vertical. On l’utilisa dès l’époque d’Eschyle pour faire planer et déposer sur scène des personnages mythiques (des héros, des dieux).
Plus rarement apparaissaient ainsi des charges plus lourdes comme des chars ou des chevaux avec leur cavalier, une plateforme portant le choeur, etc. Euripide l’utilise fréquemment, ainsi qu’Aristophane.
Les périactes
Ces structures tournantes en forme de prisme vertical comportaient trois faces dont chacune portait un panneau de décor. Une simple rotation du périacte, changeant la face orientée vers le spectateur, réalisait un changement de décor presque instantané!
Julius Pollux évoque un type de périacte appelée keraunoscopeion, destiné à figurer l’orage et les éclairs: ses faces, peintes en noir, portaient des éléments métalliques. Mis en rotation rapide, ils reflétaient le soleil et simulaient ainsi la foudre.
Eccyclème et exostre
Ces deux mécanismes sont souvent confondus par les auteurs antiques.
L’ekkyklêma ou eccyclème utilisé dans la Grèce antique à partir du Ve siècle av. J.-C. est un élément pratique et décoratif du théâtre.
Il s´agit d´une plateforme roulante qui apportait ou emportait des objets sur la scène.
L’exostre était un plateau tournant en forme de demi-cercle permettant l’apparition et le changement rapide d’un décor intérieur. Un précurseur des scènes tournantes modernes qui en ont conservé le principe.
A Rome, un système de trappes, les « Scalae Orcinae », faisait apparaître et disparaître des fantômes terrifiants… Mais les Romains poussaient le réalisme jusqu’au bout et les organisateurs de spectacles ne reculaient devant rien, n’hésitant pas à reconstituer des combats navals, les Naumachies, à l’aide de vrais navires voguant réellement sur un bassin, dans le Colisée lui-même.
Et si les tragédies grecques évoquaient souvent la nécessité des sacrifices – parfois humains comme pour Iphigénie ou Polyxène – les Romains, toujours pragmatiques, auraient estimé (vrai ou non?) que, pour être réaliste, rien ne valait le sacrifice réel d’un prisonnier ou d’un condamné. Mais là, on sort des effets spéciaux…
Et la télévision alors, pendant que nous y sommes?
Je plaisante?
A moitié seulement, car les inventeurs de l’Antiquité grecque, et tout particulièrement Héron d’Alexandrie, adoraient étonner leurs contemporains par des automates follement ingénieux dont certains présentaient de vrais spectacles en miniature, comme « le mythe de Nauplius »…
Mais ceci est une autre histoire, et nous y reviendrons peut-être.
J’ai visité plusieurs fois le théâtre de la ville de Timgad a Batna, en Algérie et j’y ai découvert la perfection de la sonorité de ma voix en me mettant à certains endroits de la scène. Sans microphone,
Je vous rend grâce pour toutes ces nombreuses découvertes et précisions sur des réalités qu’on ne souligne pas assez auprès des élèves et des étudiants : les miens se passionnent pour tout ce qui est mécanique et inventions diverses dont ils lisent parfois les descriptions et qu’ils peuvent voir grâce à vous et aux images du musée de monsieur Kotsanas, source perpétuelle de surprise !
J’attends tous la mois la mention de la parution de l’Anticopédie avec impatience !
Gratias plurimas vobis ago.
Merci, c’est vraiment très gentil !! En ce qui concerne la mécanique, je suis à votre disposition, et je vous signale aussi le recueil « Autour des machines de Vitruve: l’ingénierie romaine, textes, archéologie et restitution » aux Presses universitaires de Caen, isbn 978-2-84133-844-3 (actes du colloque tenu les 3-4 juin 2015, direction Sophie Madeleine et Philippe Fleury) !