Dans l’Égypte antique, le scarabée est un symbole puissant, celui de la renaissance quotidienne du Soleil.
En effet, les Egyptiens ont observé le comportement des bousiers, ces insectes qui forment une boulette « qu’ils roulent en la poussant de leurs pattes de derrière, imitant en cela la course du soleil« , nous dit le philosophe Plutarque
Et de cette boulette naît ensuite un nouveau scarabée, un processus mystérieux pour les Egyptiens qui y voient une renaissance – mais bien sûr, ils ne voyaient pas que le bousier y a pondu son oeuf.
Ainsi assimilé au soleil levant, le scarabée incarne le dieu Khépri, qui favorise la vie et la fertilité. Il représente la renaissance pour les morts et un symbole protecteur pour les vivants, ce qui suffit à en faire une amulette significative !
Employé comme hiéroglyphe, le scarabée représente le verbe apparaître, devenir, ou se transformer. Dès la fin de l’Ancien Empire (6ème dynastie, 2374 à 2140 av. J.-C.), des objets en forme de scarabées apparaissent.
Ils seront produits pendant des millénaires, dans une grande variété de dimensions et de matériaux: faïence égyptienne, pâte de verre ou, le plus souvent des pierres comme la stéatite, la cornaline, voire la turquoise ou le lapis-lazuli.
Des scarabées… Egyptiens ou Hyksos ?
Vers 1650 av. J.-C., les Hyksos, un peuple d’origine asiatique déjà implanté dans le delta du Nil, profitent de l’afflux de nouveaux migrants arrivant du Proche-Orient pour étendre leur influence et prendre le contrôle du nord de l’Égypte, fondant la 15ème dynastie.
C’est avec les Hyksos qu’apparaissent les scarabées commémoratifs, que le roi fait réaliser pour célébrer un évènement notable de sa vie. Le texte qui décrit cet évènement est gravé sur la face inférieure du scarabée, et contient parfois le cartouche du roi. Ce dernier en offre des exemplaires aux personnages les plus importants de son entourage, comme les souverains amis ou vassaux.
Sous le nouvel empire, Aménophis III (Amenhotep en égyptien, 18ème dynastie, vers 1390-1353 av.J.-C.), le père d’Akhenaton, diffuse des séries de scarabées en diverses occasions, comme son mariage avec Tiyi ou avec Giloukhepa (fille du roi de Mittani), l’organisation des grandes chasses au lion, au taureau sauvage, ou encore le creusement d’un lac artificiel. Des dizaines d’exemplaires de ces scarabées commémoratifs nous sont parvenus.
Deux scarabées commémoratifs: Aménophis III chasse le lion…
Bien entendu, le texte commence par la « titulature » du roi, avec ses cinq noms:
– Nom d’Horus: taureau puissant apparaissant en Vérité
– Nom de Nebty: qui établit les lois et pacifie les Deux Terres
– Nom d’Horus d’or: grand de force, qui frappe les Asiatiques
– Nom de roi de Haute et Basse Egypte: Neb-maat-re (Rê est le maître de la Vérité)
– Nom de fils de Rê: Aménophis (Amon est satisfait), souverain de Thèbes
Et donc le texte : Que vive l’Horus [titulature complète] doué de vie, et la Grande épouse royale Tiyi, qu’elle vive! Nombre de lions qu’a rapportés sa majesté par ses propres flèches, du début de l’an 1 jusqu’à l’an 10 de son règne: 102 lions sauvages.
… et épouse Tiyi.
Que vive l’Horus [titulature complète] doué de vie, et la Grande épouse royale Tiyi, qu’elle vive! Le nom de son père est Youya, le nom de sa mère est Touya. Elle est l’épouse du grand roi dont les terres atteignent au sud Karoy (Napata, au pays de Koush) et au nord Naharina (le Mittani).
Il y a scarabée et scarabée!
A partir de cette époque, les scarabées peuvent aussi porter de simples voeux favorables. Nous avons parlé du scarabée-amulette et du scarabée cadeau de propagande. Au cours de la 12ème dynastie, on les utilise communément comme sceaux. Les scarabées ainsi employés sont de petite taille, généralement d’un à deux centimètres
A l’opposé, une « espèce » de grande dimension (plusieurs centimètres) mérite une mention spéciale: le « scarabée de coeur ».
Le scarabée de coeur
Chez les Egyptiens, le coeur était le siège de la pensée, de la conscience et du sentiment. Après la mort, pour atteindre l’éternité, le défunt devait traverser bien des épreuves décrites par le « Livre des Morts ». Ainsi, son coeur était pesé devant un tribunal de dieux présidé par Osiris et devait s’avérer plus léger qu’une plume.
Mais cela n’était pas gagné, et prudemment, dès l’Ancien Empire, dans les Textes des Pyramides, on cite « l’amulette de coeur » comme un substitut au vrai coeur qui pourrait trahir le défunt. Il faut croire que celui-ci était un peu inquiet quant à ses chances de gagner l’éternité… Ainsi le scarabée de coeur portait-il une invocation à apporter un témoignage complaisant au défunt, suppliant le coeur d’avoir des réponses favorables devant le tribunal.
Un scarabée de coeur
L’inscription que portent les scarabées de coeur est très souvent un extrait du chapitre XXX B du Livre des Morts:
Ô mon coeur de ma mère! Ô mon coeur de ma mère! Ô mon coeur de mes transformations! Ne te dresse pas contre moi en témoignage! Ne t’oppose pas à moi dans le tribunal! Ne sois pas hostile contre moi en présence du Gardien de la Balance…
Lors de la momification, cette amulette essentielle en forme de scarabée est posée près du coeur au niveau du sternum, dans la cage thoracique ou parfois dans la cavité abdominale. Souvent noire ou de couleur vert sombre comme les reflets de la carapace du scarabée, elle est le symbole de la résurrection. Parfois, elle est dotée d’un visage humain!
Par ailleurs, dans les époques tardives apparaissent aussi des scarabées ailés qui sont cousus en pectoral sur les bandelettes de la momie. Ceux-ci sont fréquemment réalisés en trois parties: les ailes, qui ressemblent plutôt à celles d’un oiseau, sont reliées au corps à l’aide de fils.
Et les Phéniciens s’y mettent aussi!
Gagnés par la vogue des scarabées, les Phéniciens les ont imités, réalisant leurs propres amulettes au cours du premier millénaire av. J.-C., et principalement sous la domination de la Perse Achéménide (fin du 6ème au milieu du 4ème siècle av. J.-C.)… Il faut bien observer leurs inscriptions pour les distinguer de leurs modèles égyptiens !
Le graal du collectionneur: le scarabée avec cartouche royal
Pour un collectionneur, même débutant, une amulette égyptienne n’est pas hors de portée: on en trouve facilement à l’image d’une divinité (Thouéris, Bès, Thot) ou d’un symbole évocateur (« l’oeil d’Horus » par exemple). Les scarabées sont plus accessibles encore. Ils ont été trouvés en si grand nombre que leur prix reste modique, de l’ordre de quelques dizaines d’euros si on ne cherche pas l’objet exceptionnel.
Trouver un scarabée portant un cartouche royal reste un peu plus rare. Pourtant, le nom de certains rois est resté dans la mémoire des Egyptiens de l’Antiquité comme évoquant une période particulièrement favorable et est devenu, pour ainsi dire, un « nom porte-bonheur ».
Ainsi, si vous rencontrez un scarabée portant un cartouche royal, il y a fort à parier qu’il s’agira de celui du pharaon Thoutmosis III, sixième pharaon de la 18ème dynastie (1504 à 1452 av.J.-C. env.), qui marqua l’apogée du Nouvel Empire.
Précisons que chaque roi possédait cinq noms (voir ci-dessus). Sur les scarabées célébrant Thoutmosis III, on trouvera généralement son nom de roi de Haute et de Basse Egypte, Men-Kheper-Re, ce qui peut se traduire par « éternelles sont les manifestations de Râ ».
Mais pourquoi les scarabées de Thoutmosis III « Men-Kheper-Re » sont-ils si fréquents?
On trouve dans les collections du monde actuel quelques dizaines de milliers de scarabées portant le cartouche « Men-Kheper-Re »! Il est bien certain que tous n’ont pas pu être produits sous le règne de Thoutmosis III. Leur production s’étale en effet sur plus de mille ans, car le règne de ce roi correspond à une période si glorieuse de l’Egypte, que son nom est resté un symbole de rayonnement et de prospérité.
On connaît plus de mille scarabées émis du vivant de ce roi, ce qui est déjà un nombre imposant. Même si l’on considère que certains ont pu être conservés très longtemps, et se sont trouvés ainsi fortuitement dans des tombes postérieures (certaines du 4ème ou 6ème siècle de notre ère!) il faut bien considérer que la production de scarabées Men-Kheper-Re postérieure au règne de Thoutmosis III a été absolument considérable.
Ainsi donc, quand vous verrez passer un scarabée marqué d’un cartouche royal, sans doute y reconnaîtrez-vous le nom de Thoutmosis III. Ce qui ne voudra dire ni qu’il date de son règne… ni qu’il est authentique – car les contrefaçons, là aussi, sont nombreuses!