A qui faut-il se fier ?… ou quand une statuette grecque perd en authenticité, mais gagne en panache

Le 5 avril 2009, Ouest-France annonçait en fanfare le succès de la vente de la collection Bellon, plus de 300 pièces réunies au 19e siècle par Louis-Gabriel Bellon (1819-1899) qui fut maire d’Arras, mais surtout passionné d’archéologie, membre de la commission des monuments historiques du Pas-de-Calais puis, installé à Rouen, fondateur des Amis des monuments rouennais.

Sa riche collection recueillit au total une somme de 2.915.000 € ! Une information plusieurs fois reprise dans la presse (le Télégramme, le journal des Arts etc.).

Dans cette vente figurait la statuette présentée ici. Avec seulement un petit problème: l’expert de la vente avait prudemment fait réaliser une analyse par thermoluminescence (une méthode qui détermine l’âge de la dernière cuisson d’un objet) et, le résultat étant négatif, il décida de l’inclure dans le lot n° 347 avec trois autres statuettes d’origine contestée, lot décrit ainsi « Personnages debout, drapés, dans le goût antique ».

Selon le jargon des enchères, « dans le goût antique » signifie que l’objet n’est pas d’époque. Ces quatre statuettes sont alors adjugées pour 500 € au total (+frais de vente), à un acheteur dont nous ignorons le nom.

Cependant, la même statuette réapparaît à peine dix mois plus tard et se trouve incluse dans une autre vente qui se tient à l’hôtel Drouot le 1er février 2010. Et là, l’expert la présente comme authentique : Lot 162, statuette tanagréenne, femme drapée dans un himation, Terre cuite, époque hellénistique, H.13,5 cm.

Il y a de quoi se poser des questions. L’expert de cette seconde vente pouvait-il ignorer l’expertise précédente? Etait-il en désaccord avec les conclusions de l’analyse scientifique? Que penser? Toujours est-il que j’ai acquis cet objet (eh oui, à qui faut-il se fier?). Passons.

Récemment, j’ai souhaité le vendre. Et par bonheur, je rencontre alors une personne qui trouve beaucoup de charme à cette statuette, mais son enthousiasme reste lucide: prudente et perspicace, Marie-Margaux Cohen (galerie MMC, Paris), découvre alors toute cette histoire et, voulant en savoir le fin mot, demande une nouvelle analyse par thermoluminescence, plus ponctuelle.

Les résultats sont inattendus: ils montrent que le corps est bel et bien authentique, mais la tête et les pieds datent du 19e siècle. Bon, quelqu’un aura voulu « améliorer » l’objet, en mauvais état, pour mieux le vendre… Et la première analyse avait porté sur une partie restaurée.

Qu’en conclure? Que les deux experts avaient à la fois raison et tort, et que leur simple avis ne suffisait vraiment pas. Et qu’il a fallu la sagacité d’une tierce personne pour résoudre l’énigme.

Voilà. Il me reste à vendre cette statuette pour ce qu’elle est, à perte, mais avec son histoire!

René Kauffmann

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