Notre invitée Virginie Girod vous parle !

Si vous aimez l’Histoire, vous avez probablement déjà vu ou entendu Virginie Girod, ou même parcouru l’une de ses publications, peut-être ses ouvrages, que nous citerons plus loin. Ses interventions sont désormais innombrables, et je n’en cite ici que quelques exemples : elle collabore à des magazines comme Lire, Historia, le Point, Histoire et Civilisations. A la télévision, on la voit aux côtés de Stéphane Bern dans Secrets d’Histoire, elle est apparue dans Sous les jupons de l’Histoire avec Christine Bravo et dans nombre de documentaires et de conférences. Elle est présente aussi à la radio… autant dire que la liste est longue.

Sa spécialité ? L’Antiquité, et plus particulièrement l’Histoire des femmes et de la sexualité. Car elle a complété son cursus universitaire par une formation à l’Institut de Sexologie.

A-t-elle choisi délibérément un domaine à la mode, en parlant de femmes libres et de sexualité avouée, un sujet qui parle autant aux désirs féminins qu’aux fantasmes masculins, comme les orgies romaines ou la prostitution? Même pas.

Car Virginie Girod aborde tous les sujets, même les plus intimes, avec un naturel absolu, une élégance innée et un sourire désarmant. Par ses récits, la place des femmes et de la sexualité dans la société romaine vient tout naturellement enrichir notre réflexion sur le monde d’aujourd’hui, sans aucun artifice. Elle parle des droits de la femme sans revendiquer ni provoquer, et ces droits deviennent ainsi une évidence.

Nous avons voulu en savoir un peu plus sur cette historienne hors du commun, et l’avons interrogée sur quelques aspects qui concernent nos lecteurs, qu’ils soient enseignants, historiens, conservateurs de musées, ou simplement amateurs d’Histoire.

Et c’est avec sa bonne grâce et sa spontanéité habituelle qu’elle s’adresse à vous.

René Kauffmann

Qui est vraiment Virginie Girod ?

(Propos recueillis pour l’AnticoPédie par Aurélie Nicolas)

A.N. Virginie Girod, pour ceux de nos lecteurs qui ne vous connaitraient pas encore, nous vous présenterons, comme le disent certains réseaux sociaux, comme « la petite-fille malicieuse d’Alain Decaux ».

V.G. Bien sûr, je m’inscris dans l’héritage d’Alain Decaux où se trouvent aussi, d’une certaine manière, Stéphane Bern et Franck Ferrand, mais être reconnue comme une descendante de cette lignée est un magnifique compliment, surtout si j’y apporte le côté féminin et facétieux. 

 A.N. Vous nous parlez du rôle des femmes et de la sexualité à Rome, mais ces questions sont aussi parmi les plus actuelles. Votre positionnement « entre Antiquité et actualité » était-il volontaire dès vos études ? 

V.G. Je crois qu’il l’était, sans que j’en aie eu pleinement conscience à l’époque. Je pense qu’en tant que jeune femme d’origine méditerranéenne, je voulais comprendre comment s’était construite la place des femmes dans la société, pourquoi je n’étais pas élevée comme un garçon par ma mère et, à l’opposé, pourquoi mon grand-père, qui n’avait pas de petit-fils, me transférait des valeurs dites masculines.

En bref, on me disait « une fille, ça n’a n’a pas les mêmes droits qu’un garçon, mais sois aussi libre qu’un homme ». Ces injonctions contradictoires suscitent des interrogations ! Et comme j’ai une nature rebelle, je finis par faire ce dont j’ai envie! J’avais envie de comprendre d’où tout cela venait, et pour cela, il fallait que je remonte au socle de notre civilisation. Ce socle, c’est la civilisation gréco-romaine bien plus que la judéo-chrétienne.

C’est pendant mon master, en ayant entre les mains le livre de Thierry Eloi L’érotisme masculin dans la Rome antique que je me suis dit : je vais faire la même chose pour les femmes.

Je suis allé voir le Professeur Yann Le Bohec et je lui ai dit « Voilà, je veux faire une thèse sur l’érotisme féminin à Rome ». Yann le Bohec, qui était spécialiste de l’armée romaine, a dû se dire – peut-être parce qu’il était en fin de carrière – Allez, pourquoi pas ?! Il a réuni autour de moi Gilles Sauron, spécialiste d’histoire de l’art, et Danielle Gourevitch, spécialiste de la médecine antique. J’ai été ainsi dirigée par une équipe de très grands chercheurs.

Yann Le Bohec m’a donné alors la plus belle des leçons de liberté et de sens critique – j’en parle souvent: « Vous avez le droit de ne pas être d’accord avec moi si vous avez des arguments ».

Mes années de thèse ont été magnifiques. Il n’y a pas eu de souffrance, comme en ressentent beaucoup de thésards, seulement des personnes qui m’ont entourée, qui m’ont aidée à grandir. Qui ont été dures aussi, je leur en sais gré, et je pense que le plus beau compliment que j’aie eu le jour de ma soutenance de thèse, venait de Danielle Gourevitch, qui a été très dure avec moi, et m’a dit à la fin « Vous me faites penser à moi quand j’étais jeune ». Et ça c’est génial.

A.N. Le rôle de l’historienne est-il alors de faire revivre le passé, ou d’utiliser le passé pour influer sur la société présente ?

V.G. Pour comprendre notre présent, il faut savoir d’où l’on vient. Et je pense qu’en travaillant sur les questions de genre, de sexualité bien avant que ces sujets ne soient à la mode d’ailleurs, je voulais démontrer que l’on est libre quand on comprend.

Je n’ai nulle envie, comme certaines instagrammeuses ou journalistes, de détruire (j’ai horreur du mot « déconstruire »). Je ne veux pas déconstruire ce qu’est la société ! Pour laisser quoi derrière ? Le chaos ? Je veux comprendre comment les choses se sont construites pour qu’on se sente libre à l’intérieur de ce cadre, et pouvoir le faire évoluer ensuite.

J’essaye de transmettre cette liberté de penser à travers mes travaux et la vulgarisation qui permet de parler à un très large public grâce à la presse, à la télévision, à la radio, parce que le savoir n’est pas fait pour être gardé au sein d’une petite élite qui coupe les cheveux en quatre en permanence.

Tant mieux si cette petite élite existe, je me nourris de ses travaux, mais j’ai choisi de mon plein gré la vulgarisation. Ce n’était pas un plan B comme le pensent certaines personnes, parce que travailler dans les médias, c’est très, très compliqué, et cela n’a rien d’un plan B !

Et maintenant, Virginie parle de VOUS !

A.N. Avec les techniques de restitution 3D et d’animation faciale, il est aujourd’hui possible de déambuler dans Rome, peut-être d’y rencontrer Néron ou Messaline, voire de bavarder avec eux. Pour vous, ceci est-il un voyage de rêve ou un gadget ?

V.G. Les deux je pense, mais ce gadget peut être superbe. Le monde antique est tellement lointain qu’il faut, pour que les gens l’apprécient, leur mettre dans la tête les images de ce qu’il était. Je suis extrêmement favorable aux restitutions 3D.

Quand j’ai commencé mes études, j’ai fait d’abord une première année de droit – je me suis fourvoyée un peu, j’ai réussi cette année mais je ne voulais pas y rester. Mais surtout, pendant cette année, je jouais au jeu Pompéi : La Colère du volcan édité par Cryo Interactive, et ce jeu vidéo m’a fait comprendre que ma passion, c’était l’Antiquité. Et depuis des années, je collectionnais déjà des aspects de l’Antiquité.

Grâce à ce jeu, j’ai pu aller plus tard à Pompéi et me déplacer sans carte parce que je connaissais la ville par cœur. Donc, pourquoi se passer de ces nouvelles technologies qui permettent une immersion un peu rêvée ? Moi, je rêve aujourd’hui de mettre un casque de réalité virtuelle et de me promener dans la Rome d’Auguste. Si ce sont des gadgets, ils peuvent promouvoir la culture, et je pense qu’il serait tout à fait snob de prétendre « laissez couler, c’est un gadget… ».

A.N. On regrette la désaffection des jeunes pour l’Histoire, et certaines civilisations comme les Phéniciens ou les Etrusques sont pratiquement absentes des programmes scolaires. Quel message souhaiteriez-vous adresser aux adolescents ?

V.G. Je pense que ce ne sont pas les adolescents qu’il faut incriminer. S’ils n’ont pas de goût pour l’Histoire, c’est parce l’Education Nationale a tout fait pour les en dégoûter, en créant des programmes qui finalement ne sont pas très intéressants.

Les jeunes ne comprennent même plus ce qu’est une chronologie et je pense qu’il est bon de les faire entrer dans l’Histoire par l’anecdote, pour les emmener ensuite vers l’analyse, vers quelque chose de plus grand.

Il serait intéressant de passer par la biographie plus que par l’évènement, puisqu’aujourd’hui nous vivons dans une société de la biographie, chacun exposant la sienne sur Instagram. De trouver des moyens plus ludiques d’enseigner l’Histoire. Quand on voit le succès des comptes de youtubeurs d’Histoire, on peut penser que les jeunes sont demandeurs, mais ils sont demandeurs d’une façon différente d’enseigner l’Histoire.

On peut les faire s’identifier à des personnages, leur raconter une histoire vivante. Des gens que j’ai croisés m’ont dit que leur professeur d’Histoire racontait la guerre de 14-18 comme un film ! Quand les jeunes voient le film dans leur tête, les souvenirs se gravent, et c’est cela qu’il faut, de l’Histoire vivante. Elle ne se réduit surtout pas à un ensemble de dates ! Très bêtement, je suis tout à fait contre le fait d’apprendre par cœur des chronologies. Lors d’un contrôle, on devrait pouvoir avoir sa liste de dates sous la main, parce que ce qui compte, ce n’est pas de les savoir par cœur, c’est de réussir à analyser l’enchaînement des évènements.

A.N. Que souhaitez-vous dire aux enseignants d’Histoire et de Lettres classiques ?

V.G. Je pense que je n’ai pas de conseils à leur donner de manière directe, parce qu’ils font un métier extrêmement difficile, et pour moi qui n’enseigne pas, il serait très mal venu de ma part de leur dire comment le faire. Certains font des choses incroyables !

J’ai été invitée par des professeurs de lettres qui rendent le latin très très vivant, je peux vous l’assurer. Je pense que c’est un métier qu’il ne faut pas faire sans passion. Il est tellement difficile que si l’on n’aime pas être face à une classe, si cela devient une souffrance, ce sera mauvais pour tout le monde.

Ensuite, comment rendre ce métier plus attractif ? Là aussi, c’est une question de Pouvoirs Publics : augmenter les salaires, réduire le nombre d’élèves par classe… Les problèmes ne viennent pas des professeurs mais, encore une fois, de l’Education Nationale.

A.N. Et qu’aimeriez-vous dire aux animateurs des musées ? Quels sujets d’expositions pourriez-vous leur recommander ?

V.G. J’ai été médiatrice culturelle pendant plusieurs années dans un musée, et j’ai adoré ce métier, mais ce ne sont pas les médiateurs culturels qui font les expositions, ce sont les conservateurs. Et si le médiateur est toujours proche du public, puisqu’il est en contact avec le public quotidiennement, les conservateurs le sont beaucoup moins.

Un conservateur lyonnais que j’avais eu comme maître de stage me disait qu’il ne fallait jamais oublier que derrière les bureaux, il y avait un musée et qu’il ne fallait pas oublier d’y descendre de temps en temps. Il est nécessaire d’aller au contact avec le public pour lui parler. Et voir que les visiteurs sont des êtres humains (capables de lire les chiffres romains !) et non seulement des statistiques.

Je dis cela parce que j’ai étudié ce sujet, je suis passée par l’INP… Donc voilà: il faut retrouver un peu le chemin de l’humanité et se dire que… fabriquer du divertissement culturel est un rôle très beau et très noble.

A.N. Un sujet d’exposition en tête ?

V.G. Je n’ai pas de rêve particulier, bien sûr tout ce qui a trait à l’Antiquité m’attire particulièrement, mais ce sont mes lubies. Au temps où je travaillais dans les musées, on savait que l’Egypte antique est très « bancable », la Grèce et Rome un petit peu moins… Ensuite on passe souvent à la peinture et aux arts, mais après c’est aussi une affaire de communication et cela, c’est un vrai métier. Mais s’il faut évoquer mon exposition de rêve, eh bien je pense que je l’ai montée en partenariat avec le service éducatif de la communauté de communes de l’Hérault. Vous pourrez la voir dans ce département dès que la crise de la Covid sera terminée! Quant au sujet, il tombe sous le sens pour ceux qui me connaissent !

A.N. Vous avez dit que votre prochain livre ne parlera pas de l’Antiquité? Que pouvez-vous nous dire sur vos projets ?

V.G. C’est un livre sur une autre période qui sera en quelque sorte une prolongation de ma thèse de doctorat, une réflexion sur la place des femmes dans la société et aussi sur la sexualité, mais je n’en dis pas plus pour le moment.

A.N. Dans notre lettre, nous allons évoquer rapidement vos ouvrages… dois-je vous qualifier d’auteur selon la formulation classique, d’autrice, d’autoresse ou d’auteuse selon les règles linguistiques, d’auteure selon la tendance actuelle… Et que pensez-vous de cette redoutable tendance à l’écriture inclusive ?

L’écriture inclusive avec des points médians, je suis contre parce que j’aime les mots ! Il faut les haïr pour les hacher de la sorte !!! On peut parfaitement redoubler les constructions de phrases et parler ainsi de celles et ceux qui aiment l’histoire ou favoriser les mots épicènes. Je me range sur ces questions à l’avis de l’Académie française. Moi, je suis née au début des années 80, et les mots autrice, auteure n’étaient pas utilisés, mais depuis que je sais tenir un stylo, c’est-à-dire depuis l’âge de sept ans, je veux être écrivain. A aucun moment de mon existence, je me suis dit que le fait d’avoir un utérus m’empêcherait d’être écrivain, donc pour moi ce n’est pas un vrai sujet.

Une fois, ma fille, qui m’accompagnait dans un salon du livre, m’a dit « Maman, tu es autrice ? ». Je réponds « Tu dis autrice, toi ? Tu ne dis pas auteur ? », « Ben oui, tu es une fille, tu es autrice ! ». Et là je me suis rendu compte que c’était tout simplement générationnel. Moi, fille des années 80, je serai auteur, éventuellement auteure et ma fille, si elle écrit un jour, sera autrice, et c’est très bien comme ça.

-o-o-0-o-o-

Virginie Girod est l’auteur (et oui, moi aussi j’écris en vieux français -et j’imagine la perplexité des étrangers qui se trouveraient face à une écriture inclusive…) de:

·  Les femmes et le sexe dans la Rome Antique, Paris, Tallandier, 2013, 364 p. (ISBN 979-10-210-0115-2)

·  Agrippine, sexe, crimes et pouvoir dans la Rome impériale, Paris, Tallandier, 2015, 299 p. (ISBN 979-10-210-0491-7)21

·  Théodora, prostituée et impératrice de Byzance, Paris, Tallandier, 2018, 300 p. (ISBN 979-10-210-1822-8)1,2.

·  Une matrice: la cour romaine du Haut-Empire à l’Antiquité tardive, dans Histoire mondiale des cours de l’Antiquité à nos jours, sous la direction de Victor Battaggion et de Thierry Sarmant, Paris, Perrin, 2019. Prix Michelet 2019 ·  La véritable histoire des douze Césars, Paris, Perrin, 2019, 412 p. (ISBN 978-2-262-07438-8)

Vous la rencontrerez souvent sur votre téléviseur, mais aussi lors de Salons du Livre.
Virginie Girod participe aussi en tant que conférencière aux « Voyages d’exception » de Lionel Rabiet.

Prochain projet: Naples à la fin de l’année et l’année prochaine.

Ce contenu a été publié dans Les articles, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *