Tout commence par les dimensions
Dans toutes les civilisations, tout commence par les mesures de longueurs, nécessaires à la construction. Elles étaient initialement basées sur les dimensions du corps humain: on compte en pieds, en pouces, en coudées, en brasses, en empans etc. Là aussi, « l’homme est la mesure de toute chose« , comme disait le Grec Protagoras…
Bien entendu, la valeur de ces mesures variait selon les lieux et, 25 siècles plus tard, la situation n’était guère différente. Les réformes successives peinaient à vaincre les habitudes et les cités de la Grèce antique, fortement attachées à leur identité, semblent même avoir mis un point d’honneur à ne pas s’accorder sur ces étalons avec les cités voisines.
Lorsque les circonstances imposaient une coopération entre acteurs d’horizons différents, comme lors de la construction du Parthénon, ceci n’allait donc pas sans problème. Ce n’est peut-être pas par hasard que ce monument réunit plusieurs unités: sa hauteur (14,72m) est de 45 pieds doriques, 48 pieds courants, ou 50 pieds ioniques. Chacun pouvait ainsi plus ou moins s’y retrouver. Mais après tout, 2500 ans plus tard, lors de la conception de l’avion franco-britannique Concorde, les ingénieurs butaient encore sur des problèmes similaires…
Le musée du Pirée possède une dalle sculptée (ci-dessus) qui illustre combien l’harmonisation des mesures était à la fois nécessaire et difficile. Il s’agit d’une table trouvée à Salamine, datant du 4e siècle av.J.-C. qui matérialise sept unités de mesure communément employées: la brasse, la coudée, l’empan, la paume, et les trois variantes du pied citées pour l’Acropole. Elle était certainement exposée dans un lieu public en tant que référence, ainsi que le sera plus tard le mètre-étalon exposé au pavillon de Breteuil, à Sèvres, jusqu’en 1960.
Puis vinrent les premiers étalons de poids
La notion de poids, peu utile à l’aube de l’humanité, devint indispensable avec l’invention du commerce, quand il fallut évaluer la quantité d’une denrée que l’on allait échanger contre une autre, ou en prélever la part de l’impôt, bien sûr. Voyons, que pouvait-on alors imaginer ? Il faut considérer ici les qualités que l’on attend d’un étalon de mesure: il doit être constant dans le temps et l’espace, reproductible, et aisément transportable.
Dans une société essentiellement agricole, on remarqua d’abord que le grain d’orge est d’une remarquable régularité (0,05 g environ), facile à se procurer, léger et utilisable comme unité de base à condition d’en définir de nombreux multiples pour les mesures courantes. Pour ces raisons, il servit aussi d’unité de longueur (en Angleterre, il valait 1/3 de pouce, soit 8,466 millimètres).
En bijouterie, le grain est toujours utilisé pour exprimer le poids de lots de perles ou de diamants, dans sa définition décimale valant 0,049 gramme (environ 1/576 d’once anglaise avoirdupoids, soit un peu moins d’un quart de carat). Notons que le nom du carat, qui vaut de nos jours 0,20g, vient pour sa part de la graine du caroubier (keratonia silica).
Charlemagne, réformant les unités de référence, retient le grain de froment en remplacement du grain d’orge, un peu plus lourd (0,075g). Mais si le nom des unités a traversé les siècles, la valeur de chacune a toujours fortement varié dans le temps et d’un lieu à un autre.
De Charlemagne (qui tente en 789 d’uniformiser les unités) à la fin du règne de Philippe Auguste, l’unité monétaire est une unité de poids: on pesait la monnaie à l’aide d’une référence, la « pile de Charlemagne » (ci-dessus), qui prend la forme de petits godets s’emboîtant les uns dans les autres.
Un poids comme monnaie
Dès le 7e siècle avant J.-C., les Lydiens, qui disposaient de ressources importantes en métaux précieux, utilisent des petites masses d’électrum, un alliage naturel d’or et d’argent comme monnaies d’échange – disons, plus simplement, comme « pièces de monnaie ».
La valeur de la pièce était celle de son poids de métal (un statère). Il en resta ainsi pendant plusieurs siècles.
Il est vrai que les métaux comme l’or, l’argent, le bronze, possèdent toutes les qualités requises: ils ne craignent pas les transports, résistent au temps et peuvent représenter une grande valeur sous un faible volume.
De nombreux multiples du poids du grain d’orge furent utilisés pour qualifier les pièces de monnaie.
Au 6e siècle, on commence à séparer l’or de l’argent (la composition de l’électrum étant très variable), et les Grecs adoptent le principe de la monnaie métallique, créant les pièces antiques telles que nous les connaissons.
Parmi les plus anciennes, celles de l’île d’Egine qui adopte le statère (valant 2 drachmes). Celles d’Athènes apparaissent vers 510 av. J.C., avec un poids différent… Une manière de refuser la domination maritime d’Egine à l’époque. La drachme désigne alors à la fois un poids et la pièce de monnaie en argent qui pèse ce poids.
Un poids infiniment variable, local et temporaire
Les bâtisseurs d’empires ont tenté d’unifier les étalons de poids-monnaie et de les imposer aux pays voisins pour faciliter les échanges et la diffusion de leurs produits.
Les étalons ne furent cependant valables que pendant un temps donné, sur un territoire limité. Il y eut ainsi, avant l’euro et le dollar, des monnaies sinon internationales, du moins internationalement acceptées, comme la tétradrachme grecque, l’aureus latin, et plus tard le florin de Florence ou le sequin vénitien.
On imagine les acrobaties arithmétiques auxquelles les commerçants devaient se livrer au cours de leurs voyages… Comment s’en tiraient-ils? En calculant, à l’aide de tables ou d’abaques, ou en conservant sur eux des échantillons de poids étrangers…
Qu’ils sont heureux, nos voyageurs d’aujourd’hui, avec la monnaie européenne, le système international (ou presque) de poids et mesure, et leur fidèle calculette!
En EgypteL’unité de poids principale est le deben (dont le nom désigne un anneau métallique) valant 13,6g sous l’Ancien Empire. On l’appelle aussi deben d’or, car on note aussi des deben plus lourds (27,3g pour l’argent ou le cuivre, 54,6g pour le plomb. |
A BabyloneL’unité la plus utilisée est le talent, qui correspond à 30,3kg. Certains auteurs le définissent comme le quart d’une « coudée cube » d’eau. On y verra tout aussi bien « ce qu’un homme peut emporter »… Quoi qu’il en soit, le talent se divise en 60 mines (505g), et: |
En GrèceLes textes d’Homère mentionnent un talent d’or dont on ignore la valeur exacte. Plus tard, à l’époque historique, les cités grecques utilisaient un talent plus léger qu’à Babylone, mais très variable d’une cité à l’autre. C’est Alexandre le Grand qui imposera l’étalon attique, avec un talent de 26,16 kg qui valait aussi 60 mines… |
A RomeSi les poids des Grecs et de leurs colonies du sud de l’Italie actuelle étaient bien connus dans le Latium aux origines de Rome, les Romains choisirent leur propre système de mesure fondé sur la livre (libra), pesant environ 324 grammes. La livre se divise en 12 onces (uncia) et de nombreux sous-multiples: |
Un poids-monnaie? Tout n’est pas simple!L’emploi de monnaies valant leur poids d’or ou d’argent fonctionne assez bien tant que la valeur de la monnaie reste constante et que l’on peut définir une parité entre métaux différents. Une pièce d’or valait en moyenne 13 pièces de même poids en argent. Mais que l’or devienne rare ou que l’on trouve un nouveau gisement d’argent, et tout cela change.D’autre part, la crise économique n’est pas non plus un phénomène récent, et il peut être pratique pour un gouvernement en difficulté d’émettre plus de monnaies qu’il ne possède de richesses. C’est le principe de la dévaluation, qui a été appliqué très tôt. Lorsque les Romains créent leur propre monnaie vers 300 av.J.-C., l’as (aes) est une masse de bronze qui pèse une livre (324g). Moins de cent ans plus tard, il ne pèse plus que 55g. Le denier d’argent (denarius) proche de la drachme grecque avec un poids de 4,5 grammes, vaut initialement 10 as de bronze, puis 16. Mais lui-même, tombera à 4,20g, puis à 3,96g, et il ne pèse plus que 3,7g vers 170 av. J.-C. Et ce n’est qu’un début… Qu’en reste-t-il?Si la Livre anglaise (pound) s’abrège en lb, si la monnaie d’Israël s’appelle le Shekel et celle du Maroc le Dirham, comment ne pas y reconnaître une survivance de la Libra latine, du Sicle du Proche-Orient et de la Drachme grecque? |
Enfin, pour les puristes…Eh oui, tous les « poids » sont donnés ici en grammes, alors que le gramme est une unité de masse. En effet, le poids est la force que l’attraction terrestre exerce sur cette masse, variable selon le lieu où l’on se trouve (la latitude et l’altitude en particulier). Le poids devrait donc s’exprimer en Newton, l’unité de force. Une subtilité dont on ignorait tout dans l’Antiquité, et même si aujourd’hui vous demandiez à votre épicier de vous peser 9,81 newtons de carottes (au lieu d’une masse d’un kilo), il risquerait de demeurer perplexe… |
très bon site très appréciable dans mes recherches en cours de Latin
PS : FDP
Merci c’est gentil ! A votre service s’il y a d’autres sujets que vous souhaiteriez voir dans ces pages…
Concernant la langue ibère il a aussi été déterminé une base 12 pour les mesures:
eta,
kitar = 12 eta,
otar = 12 kitar,
a? = 12 otar
On retrouve ainsi eta> visible sur les monnaies de bronze, <i>kitar sur les monnaies d’argent.
Les nombres ont aussi été déterminés par les archéologues, notamment le catalan Ferrer i Jané, avec ban (1), bin (2), irur (3), laur (4), bortse (5).. abar (10), orkei (20) rappelant fortement les nombres basques (respectivement bat, bi, hiru, lau, bortz.. hamar, hogei.
Ainsi une monnaie inscrite kitarerder correspond , en poids et sûrement en valeur, à la moitié d’une pièce marquée kitarban (= 1 kitar).
Les Ibères n’entrent pas dans le champ habituel de l’AnticoPédie, mais ce commentaire sur un sujet peu connu m’a semblé intéressant! Voulant en savoir plus, je suis tombé sur ce document : « De poids et de mesure: les instruments de pesée en Europe occidentale durant les âges des métaux (14e – 3e siècle av. J.C.) » par Thibaud Poigd. voici un lien pour en savoir plus : https://una-editions.fr/la-peninsule-iberique-creuset-dune-pratique-ponderale/.