C’est vers le VIIe siècle avant J.C. que la « pièce de monnaie » apparut en Lydie (Asie Mineure), où l’or abondait. Pour la première fois, les denrées se payaient par des quantités de métal normalisées et marquées du sceau de l’Etat.
Les commerçants grecs ont vite compris l’intérêt de la chose, et les cités grecques se sont empressées de frapper des pièces d’argent, d’un poids précis, chacune ayant la valeur de son poids de métal précieux. Ont-ils du même coup inventé la crise monétaire, comme Icare inventa, le même jour, l’aéroport international et la catastrophe aérienne ?
Des échanges commerciaux à la monnaie
La transaction commerciale fut inventée lorsque deux hommes de la préhistoire décidèrent d’échanger des objets. Miracle : chacun avait acquis une chose qui lui était nécessaire en échange d’une autre dont il pouvait se passer.
Ce système de troc, infiniment profitable, fut amélioré dès que l’on sut compter (je t’échange un âne contre quatre chèvres), puis à mesurer des quantités. L’unité de poids est ici essentielle, et dès l’Ancien Empire (2750-2150 av. J-C), un égyptien pouvait échanger un shât (unité de poids) de cuivre contre trois shâts de tissu. Lorsque le pouvoir en place collecte les impôts, ou si un commerçant prête de l’argent, il faut que la monnaie garde une valeur relativement stable au cours du temps. Payer en sacs de blé est un pari risqué: si la récolte est abondante, le sac que le roi possède perd de sa valeur – et il en gagne si elle est mauvaise, au risque de troubles sociaux dans une population affamée. La monnaie proprement dite vient de l’utilité de disposer d’un objet intermédiaire facile à échanger, à transporter, à conserver, dont la valeur est stable et admise par les partenaires. En ce sens, les métaux précieux présentent bien des qualités. Ainsi, je peux vendre mon âne pour 20 pièces de 4 grammes d’argent, aller acheter ailleurs deux chèvres pour 10 pièces, et conserver le reste. L’intérêt de la chose est évident, les risques le sont moins.
Quand les monnaies s’affolent
La valeur des métaux précieux est relativement stable, encore que la découverte d’une mine ou la perte de ressources puisse changer bien des choses. Lors de la Guerre du Péloponnèse, en 413 av.J.C., les Spartiates occupent la région des mines d’argent de Laurion, et c’est toute l’économie athénienne qui souffre. Afin de réduire les risques de fluctuations, le pouvoir en place attribue alors à sa monnaie une valeur moyenne stabilisée de manière empirique, ce qui convient à tous… pendant un certain temps.
Si à l’intérieur du pays, les monnaies peuvent se contenter d’un cours légal, la question est toute autre lorsque le commerce devient international, car c’est la confiance qui régit les échanges. Bien sûr, plus le pays sera puissant, plus on pensera pouvoir lui faire confiance. Ainsi sont apparues des monnaies quasi universelles, comme le tétradrachme athénien, la monnaie hellénistique à l’effigie d’Alexandre le Grand, plus tard le florin de Florence, le sequin vénitien et aujourd’hui le dollar.
Rien n’est éternel: un jour, le pays découvre une nouvelle mine, ou s’empare de celle de son voisin. L’argent (métal) devient moins rare, donc perd de sa valeur relative, et les prix augmentent. C’est ce qui se produit dans la Rome d’Auguste, qui nous semble l’image même de la solidité. Aussitôt après sa mort, sous son successeur Tibère, le mécanisme s’inverse. Le pays manque de métal précieux, une baisse des prix ne suffit pas. On dénonce les taux usuraires imposés par les prêteurs et l’empereur met la main sur les exploitations minières. Néron, dont les dépenses ruinent l’économie, introduit une nouvelle méthode promise à un bel avenir : il « réajuste » la valeur de sa monnaie: un Aureus passe de 8,2 à 7,3 grammes d’or, le Denarius (denier) d’argent passe de 3,90 à 3,41g. De plus, il triche sur la qualité de l’argent employé. Bien des empereurs suivront cet exemple, et l’empire romain subira régulièrement des dévaluations qui ont conduit à une quantité de réformes monétaires successives, plus ou moins efficaces. En 215, Caracalla introduit un double denier (l’Antoninien) qui ne compte plus que 50% d’argent… et 20% sous le règne de Valérien en 258, puis 4% à peine sous Claude le Gothique (268-270). Son aspect est alors plus proche de celui d’une monnaie de bronze ! Plus tard, on appellera cette méthode « faire tourner la planche à billets ». Autre problème: il est difficile d’assurer la parité des valeurs entre des monnaies faites de métaux différents, or, argent ou bronze. Ainsi, pendant la même période, l’or se raréfie. Bien que sa qualité soit également altérée, l’Aureus, qui valait encore 25 deniers d’argent dans les années 210, en vaut plus de quarante vers l’an 244, et mille dans les années 270 lorsque l’empereur Aurélien entreprend de réformer le système. Pourtant, une crise monétaire ne s’accompagne pas nécessairement d’une crise économique, et tout ceci ne pose pas un problème majeur tant que le processus ne s’accompagne pas d’une crise sociale (provoquée par une pénurie par exemple, lorsque les denrées deviennent hors de prix) ou d’une crise de confiance envers les patriciens que l’on accuse de corruption, non sans raison il est vrai. La grande crise du IIIe siècle se produit à Rome lorsque le coût de l’entretien des légions qui gardent les frontières conduit à une pression fiscale insupportable de sorte que, lorsque des barbares pénètrent dans l’Empire, ils sont parfois perçus comme des libérateurs.
L’Histoire nous montre quantité de tels exemples. Après la crise des assignats de John Law (1720) et la dévaluation galopante en Allemagne (1918-1923), on a appris à maîtriser les mécanismes de l’inflation. Qui peut cependant prétendre maîtriser l’économie ? D’autres réformes monétaires se produiront, d’autres inflations… Avant l’Euro, lorsque le « nouveau franc » a été introduit en 1960 (il valait désormais 100 francs anciens), bien des Français étaient déjà en retard d’une réforme, et se souvenaient que l’ancien franc se subdivisait en 20 sous…
Et les crises, de nos jours ?
Jusqu’à une date récente, la plupart des pays avaient une production intérieure suffisante pour que les échanges internationaux ne soient pas d’une importance vitale. Une crise passagère conduisait à une dévaluation de la monnaie locale et tout finissait plus ou moins par rentrer dans l’ordre. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et l’on constate d’ailleurs que la crise actuelle n’entraîne qu’une dévaluation minime. La grande crise de 1929 commence par un effondrement boursier. Les crises sont aussi devenues spéculatives et mettent en jeu des mécanismes très complexes, inaccessibles au commun des mortels qui pourtant en subissent les pires conséquences économiques d’abord, sociales ensuite. La dette de la Grèce, fin 2014, atteignait 151% de son PIB (produit intérieur brut). Celle du Japon était de 247% du PIB, et personne n’en parlait. Lors des crises actuelles, les Etats soutiennent en premier lieu la finance (les banques), mais à qui profitent les intérêts, lorsque les Etats s’endettent ? Qu’en aurait pensé Aristote ?