…Ou qui serait capable de discuter avec Cicéron, Socrate ou Ramsès II, s’ils revenaient? Vous penserez à des latinistes et hellénistes « distingués » (selon l’expression consacrée), des égyptologues peut-être?
Pas si sûr: dans le meilleur des cas, il leur faudrait un bon moment d’adaptation avant de pouvoir communiquer. Le latin et le grec ancien que l’on apprend au lycée ne conviendrait peut-être pas vraiment, et l’égyptien antique poserait plus de problèmes encore.
Il est évident que les langues antiques ont évolué pendant les centaines d’années où elles furent en usage: le grec d’Homère (fin du 7e siècle av. J.C.) n’est pas celui d’Aristote, 300 ans après, et le latin de Plaute, au 3e siècle av. J.-C. n’est pas celui de Suétone, 400 ans plus tard.
Ceci est encore plus vrai pour l’Egyptien ancien, qui fut en usage pendant plus de 3000 ans. Evidemment, la langue variait aussi, comme de nos jours, selon les régions et aussi selon les classes sociales, car le paysan ne parlait pas le latin des sénateurs. Imaginez comment pourrait s’enseigner en l’an 3000 notre vieux français actuel! En fait, si vous suivez des cours de latin, de grec ou d’égyptien hiéroglyphique, qu’apprenez-vous vraiment? Le problème est qu’il n’y a plus personne pour nous renseigner sur la « vraie » prononciation d’un lieu et d’une époque.
Le latin
Parlé durant tout le moyen-âge et dans les milieux religieux jusqu’à une date récente, on pourrait penser qu’il ne pose pas trop de difficultés.
Erreur! Nous parlons de pensum ou de maximum (prononcé maximomme), alors que le curé d’avant Vatican II prononçait « Dominous vobiscoum », et les exemples abondent. La prononciation française n’est pas celle de l’Eglise, ni celle des latinistes italiens, anglais ou allemands.
Dans les années 1960, on se retrouvait avec un latin francisé, un latin d’église, et un « latin restitué » sur lequel les historiens et les linguistes travaillaient depuis le début du 20e siècle.
C’est ce dernier, supposé respecter au mieux la vérité historique, qui s’est imposé dans l’enseignement. C’est celui qui se rapproche, dans la mesure du possible, du latin de Cicéron (prononcer Cicero en anglais, Kikero en latin), 1er siècle av.J.C.
Le grec
Le Grec ancien aussi possède sa prononciation restituée, popularisée dans les années 1980 par Stephen Daitz (université de New-York).
En France on utilisait traditionnellement la prononciation dite « érasmienne » selon les règles établies par Érasme, le plus connu des humanistes de la Renaissance qui avaient fait de leur mieux pour définir une prononciation « standard ». Mais celle-ci ne correspondait à aucune réalité historique. Quelle prononciation faut-il alors adopter ? Tandis que les langues anciennes disparaissent lentement des programmes scolaires, cette querelle est hélas peut-être déjà devenue… byzantine !
Le problème est d’autant plus épineux que le grec littéraire dont on voudrait parler est celui des Athéniens de l’époque classique (5e-4e siècle av. J.C.), qui n’est que l’un des nombreux dialectes grecs. Mais cette littérature nous est souvent parvenue au terme de longues pérégrinations via les copies arabes ou latines.
Que reste-t-il du texte original de ces oeuvres, réécrites et retranscrites alors que la langue grecque avait déjà bien évolué, passant du grec ancien qui nous intéresse à la koinè, la langue véhiculaire grecque qui s’est imposée après les conquêtes d’Alexandre le Grand, comme l’anglais aujourd’hui ?
Il y eut plus tard le grec médiéval (byzantin) puis le grec moderne, qui lui-même distingue encore parfois la langue « savante » des journaux intellectuels et la langue pratiquée au quotidien dans la rue. Et les Grecs d’aujourd’hui ont cédé à la tentation de prononcer la langue antique à leur manière actuelle (comme les Français l’ont fait du latin), ce qui est plus simple pour eux, mais sans doute pas très fidèle à la vérité.
Difficile de prétendre alors pouvoir bavarder avec Socrate! Valéry Giscard d’Estaing en fit l’expérience lorsqu’il présenta à Athènes, en septembre 1975, une allocution en grec moderne qu’il prononça à la sauce Sorbonne, ce qui entraîna une vague d’incompréhension hilare dans la foule…
L’égyptien antique
Ici, le problème est plus ardu encore, si l’on considère la durée de l’empire égyptien qui s’étire sur plus de 30 siècles et sur un vaste territoire, et surtout le fait que les écritures égyptiennes antiques, comme celles des langues sémitiques aujourd’hui encore, ne donnent que des informations fragmentaires sur la prononciation: l’écriture ne reproduit pas les voyelles.
C’est seulement sur la fin de l’Egypte antique que des auteurs grecs retranscrirent certains textes, en y ajoutant alors leurs voyelles, ce qui nous éclaire un peu.
Mieux encore, les Coptes (les derniers à pratiquer la langue antique), adoptèrent carrément l’alphabet grec. Mais c’était près de 1500 ans après Ramsès!
Alors, pour pouvoir communiquer, les Egyptologues ont inventé des règles de prononciation où les pharaons ne se retrouveraient sans doute pas vraiment. Si vous voulez vous y mettre, vous apprendrez probablement la langue du Nouvel Empire, la plus prolifique en inscriptions hiéroglyphiques. Les modes d’écriture ayant évolué comme la langue au cours des siècles, il faudrait aussi apprendre l’écriture hiératique et l’écriture démotique, mais passons.
En conclusion, on s’efforce aujourd’hui de s’approcher de la réalité historique par des « restitutions des langues anciennes » qui donnent lieu à bien des controverses, alors que leur enseignement souffre des réformes actuelles. Pour autant, ceci n’enlève rien à la valeur culturelle des textes fondateurs de notre civilisation, dont la plupart sont, heureusement, accessible à tous, traduits en français moderne.
Pharaon d’Egypte? Késako, dirait Ramsès?! Pharaon est un mot grec puisé dans la bible hébraïque, qui désigne initialement « la grande maison » (Per-aâ), c’est-à-dire le Palais, comme nous disons aujourd’hui la Maison-Blanche ou l’Elysée pour désigner des chefs d’état.Le sens a progressivement dérivé pour devenir un titre honorifique vers 600 av. J.-C. De même pour le mot Egypte : la capitale du pays, que nous appelons Memphis, se nommait Hout-Ka-Ptah. Les Mycéniens écrivirent ce mot Ai-ku-pi-ti-jo (en écriture linéaire B), qui devint en grec Aiguptos, et désignait le pays lui-même (comme on dirait « Berlin décide que… »). Les Egyptiens, eux, appelaient leur pays Kemet, « la (terre) noire ». Quant au nom de Memphis, c’est une distorsion, grecque aussi, du nom du temple de Pépi Ier, proche de la ville, nommé Men-nefer-Pépi… |