Quand la Grèce et l’Egypte exigent le retour des antiquités…

Le fronton est du Parthénon, à Londres

On sait que la Grèce réclame depuis des décennies la restitution des sculptures du Parthénon, dont l’essentiel se trouve à Londres au British Museum.

En 1981, Mélina Mercouri, alors ministre de la Culture, précisait bien que cette demande se justifiait par le fait que le monument, privé de ses sculptures, se trouvait défiguré, mais qu’il n’était pas question de revendiquer des éléments isolés comme des statues.

Cette affaire n’a guère progressé depuis, mais la polémique s’étend, et aujourd’hui, le ton monte.

D’ailleurs on ne demande plus, on exige, et au plus haut niveau. Le 15 avril dernier, c’est le président grec Prokopis Pavlopoulos lui-même qui a exigé la restitution des marbres du Parthénon. En Egypte, c’est le très médiatique Zahi Hawass, ancien ministre des Antiquités, qui exigeait en ce début d’année le retour de différentes oeuvres, dont la pierre de Rosette exposée au British museum et le célèbre buste de Néfertiti de Berlin.

Le maire de Milos, pour sa part, remue ciel et terre pour obtenir la Vénus « volée », et déclare que toutes les municipalités grecques soutiennent son action, dénommée « Take me home ». Pétition nationale en vue de porter l’affaire devant le parlement européen, requête envoyée au président Macron, projet d’un bâtiment spécialement aménagé pour accueillir la statue, promesse de contribution de la marine grecque au transport, tout y est! Et tout prétexte est bon pour imposer un délai: pour le British museum, on tente de s’inscrire dans les conditions du Brexit.

La Vénus est censée revenir en Grèce pour le 200ème anniversaire de sa découverte. L’Egypte se fixe la date de l’inauguration du nouveau Musée du Caire, en 2020.

Un phénomène marginal? Oui et non. En juin 2017, le portail d’informations Info-Grèce lance un sondage intitulé « Le Louvre doit-il rendre la Vénus de Milo à l’île grecque d’où elle a été enlevée il y a 200 ans? ». Il recueille 72% de oui, sur un petit nombre de 1600 votants certes, mais tout de même.

La pierre de Rosette

La Grèce et l’Egypte s’appuient sur les mêmes arguments: en bref, à l’époque où les grandes collections se sont constituées (principalement au 18e et au 19e siècle), les puissances européennes ont abusé de leurs forces colonisatrices pour dépouiller de leur patrimoine les pays moins développés.

Elles ont aussi largement profité de l’indifférence des dirigeants (l’Egypte et la Grèce sortaient de l’empire Ottoman et leurs autorités avaient d’autres soucis) pour s’octroyer – parfois même en se disputant entre elles – les plus belles oeuvres d’art.

On peut discuter sur la manière dont les musées ont constitué leurs collections. Ce sont souvent les diplomates des puissances européennes, ambassadeurs et consuls, qui négociaient avec les autorités de l’époque pour obtenir les objets. Les conditions auxquelles ils ont été cédés (vente ou simple autorisation de les emporter) sont rarement très claires et, admettons-le, les diplomates ne se sont pas privés d’interpréter à leur avantage les textes imprécis.

Légal, illégal?

A notre époque où certains nationalismes s’échauffent et où les ventes d’objets d’art atteignent des sommets, nombreux sont ceux qui prétendent que la majorité des oeuvres ont purement et simplement été volées et doivent être restituées à leur pays d’origine. On prétend même que « les musées s’enrichissent en faisant payer le droit de visiter des objets volés ».

A quoi les pays visés (principalement la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et les Etats-Unis) répondent:

  • qu’on ne peut pas parler de vol lorsque les lois de l’époque ont été respectées,
  • que les accords passés avec les autorités de l’époque restent parfaitement valides,
  • que les musées occidentaux ont fait de leur mieux et consenti bien des efforts pour protéger et restaurer des oeuvres qui, faute de soins, se trouvaient en péril,
  • que, de toute façon, les collections des grands musées sont juridiquement inaliénables (sauf décision, pour la France, d’une commission nationale pouvant prononcer des déclassements),
  • qu’aucun musée ne s’enrichit par les droits d’entrée (la billetterie ne couvre que 36% du budget du Louvre),

et enfin que si le droit a effectivement fortement évolué au cours des 70 dernières années, une loi n’aura jamais d’effet rétroactif.  Oui, disent certains, mais la Grèce était alors un territoire occupé. Peut-on pour autant prendre en compte les aléas de l’Histoire, toujours réécrite par les vainqueurs? Aujourd’hui, on trouvera normal d’affirmer par exemple, que l’Alsace fut occupée par l’Allemagne entre 1871 et 1918. Pendant cette période, les Allemands pouvaient tout aussi bien prétendre que l’Alsace avait auparavant été occupée par la France. Avec qui devait-on alors traiter?

La voie diplomatique

On voit que, sur le plan juridique, les revendications des uns et des autres ont peu de chances d’aboutir, d’autant que les musées se défendront bec et ongles. Les Grecs ont d’ailleurs renoncé en 2015 aux recours juridiques pour obtenir le retour des marbres du Parthénon. 

Bien sûr, on trouve parfois sur le marché de l’art, de nos jours, des objets volés (au sens du droit actuel), et les musées comme les sociétés de ventes aux enchères en restituent périodiquement. Encore faut-il pouvoir prouver que les oeuvres ont effectivement appartenu à l’entité qui les réclame, et furent illégalement acquises, ce qui est souvent difficile. Bien des oeuvres que les Nazis ont confisquées pendant la seconde guerre mondiale n’ont jamais retrouvé leur légitime propriétaire. 

C’est donc par la voie diplomatique que les pays qui s’estiment lésés tentent aujourd’hui d’imposer leur volonté. Cela fonctionne parfois. On se souvient des têtes Maoris tatouées, détenues dans différents musées, qui ont été restituées à la Nouvelle-Zélande en 2012.

En 2017, le président Emmanuel Macron a décidé de retourner au Bénin 26 oeuvres dont l’armée française s’était emparée en 1892.

Les conservateurs des musées en ont frémi: ce cas pourrait-il constituer un précédent? 
Une petite brèche dans laquelle d’autres tentent de s’engouffrer. Le débat est loin d’être clos.

Et finalement, où cela mène-t-il?

Du point de vue du rayonnement universel des cultures antiques, leurs terres d’origine n’ont-elles pas intérêt à ce que des témoignages en soient dispersés dans le monde entier, exposés à l’admiration du plus grand nombre, qu’ils suscitent des vocations, et que tous les peuples reconnaissent leur prestige, s’y intéressent et – pourquoi pas? – deviennent aussi des touristes avides d’en savoir plus?

A voir. Mais de toute évidence le débat est plus passionnel qu’intellectuel…

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Restitutions et copies

En janvier 2012, un média grec annonce que le Louvre restituera une série de statues à la ville de Thessalonique, à l’occasion des célébrations du centenaire de la libération de la ville (de l’occupation ottomane). On annonçait aussi qu’un mécène accorderait 180 000 euros pour la confection de copies, qui résideraient au Louvre.

Erreur!!! Ce sont les copies qui figureront à Thessalonique. De quoi exacerber les revendications de certains.Il s’agit des caryatides dites « Las Incantadas » (les Enchantées) provenant d’un portique de l’agora romaine de Thessalonique, « volées en 1864 par le français Emmanuel Miller » (dixit le très officiel site de l’Ambassade de Grèce à Paris).

Résumons en disant que la ville était alors ottomane, et plus exactement très multiculturelle, le portique d’origine romaine étant incorporé au quartier juif, d’où leur surnom espagnol… Et Miller avait l’autorisation d’emporter les statues.

On lui avait même demandé d’emporter tout le monument, mais la tâche était trop ardue. Ses pierres ont ensuite été réemployées et, aujourd’hui, on ne sait même plus précisément où il se trouvait…

Les restitutions, ça existe

Entre autres exemples, cette colonne, datée de 340 av. J.-C., provient d’un ancien cimetière de l’Attique. Elle avait été exportée illégalement de Grèce.
La maison de vente aux enchères britannique qui la détenait l’a donc remise à la police en 2018 afin qu’elle soit rendue à la Grèce.
Elle a été livrée au Musée épigraphique d’Athènes.

Le Kouros de Samos

Une petite statuette en bronze (12 cm) datant du VIè; siècle av. J.-C., a été restituée à la Grèce par un galeriste britannique bien connu en juin 2005. Elle avait figuré au catalogue du musé;e de Samos jusqu’en 1943, et fut sans doute dérobée alors par l’occupant allemand.

Lors de sa restitution, la ministre de la culture grecque n’a pas manqué de déclarer qu’elle espérait voir cet exemple suivi par le British Museum… No comment.

La position de l’UNESCO

Différents textes définissent les « bonnes règles » concernant le retour ou la restitution (cette dernière sous-entendant une acquisition illicite) des objets aux pays demandeurs. Parmi ces textes, la loi UNIDROIT de 1995 concerne « les biens culturels volé;s ou illicitement exportés ».
L’UNESCO complète cependant les aspects juridiques par des positions morales tout en restant pragmatiques: elle n’envisage pas le retour de tous les objets, mais privilégie le retour de ceux qui sont « indissociables des racines et de la culture » du pays d’origine. Pour les autres, la position est plus nuancée, les musées devant garder leur rôle d’ambassadeurs des cultures mondiales.
Ceci permet de glisser du droit pur aux positions de diplomatie culturelle, et l’on voit tout l’intérêt, pour les pays revendicateurs, de déclarer « volés » les objets qu’ils réclament, afin de jouer ensuite sur ces aspects moraux…

La « jeunesse triomphante »

Comme bien d’autres, le musée Paul Getty, en Californie, a parfois été confronté à la nécessité de restituer des objets qui s’étaient révélés d’origine frauduleuse, et s’est plié à ses obligations.

Il en va autrement avec ce superbe bronze attribué à Lysippe, sculpteur grec du IVe siècle avant notre ère, représentant un éphèbe victorieux, en grandeur nature. Il fut découvert en 1964 au large de Fano en mer Adriatique par des pêcheurs qui le vendirent à un marchand d’art italien. Il fut exporté (sans autorisation) vers le Brésil, puis passa de mains en mains, de pays en pays, avant d’être acquis en 1977 par le musée Paul Getty. Le premier acquéreur et les pêcheurs furent traduits en justice pour dissimulation et recel de biens volés appartenant au patrimoine, mais ils furent acquittés, le tribunal ne pouvant affirmer que la découverte avait eu lieu dans les eaux territoriales italiennes.

Depuis 2007, l’Italie exige le retour de ce bronze. De procès en procès, la cour de cassation italienne décide finalement l’an dernier qu’il fait partie du patrimoine national et a quitté illégalement le pays. Refus du musée Paul Getty, qui estime cette décision contraire au droit international: la statue, grecque, a été trouvée dans les eaux internationales, et n’a donc jamais fait partie du patrimoine italien. A suivre.

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