Voilà, c’est fait: depuis la rentrée 2016, l’enseignement du latin et du grec ancien ne se maintient dans les collèges que sous une forme réduite. Certains y voient un coup sérieux donné à la culture de l’effort, comme à la culture tout court. Ou une conséquence de la culture du moindre effort ? Le travail aurait-il perdu tout son prestige ?
Que disaient les auteurs antiques à ce sujet ?
Eh bien, aussi surprenant que cela puisse paraître, l’oisiveté était plutôt prisée à Rome, et les Grecs affichaient ouvertement le mépris du travail que nous louons aujourd’hui sous le nom de tâches productives. Selon Platon, les tâches du cordonnier ou du forgeron sont dégradantes – ne s’exerçant que dans l’espoir d’une rémunération – et les commerçants sont au mieux un mal nécessaire.
Cicéron nous dit la même chose : travailler pour gagner de l’argent est indigne d’un citoyen, et les marchands qui passent leur temps à mentir dans le même but, ne valent pas mieux.
Cette vision s’explique. A Rome, les citoyens n’avaient pas à assurer leur subsistance, cette fonction étant dévolue aux esclaves.
Seuls les métiers de l’agriculture et des armes revêtaient une certaine noblesse. On appelle otium le loisir dans lequel l’homme s’épanouit.
A Athènes, les citoyens se devaient de consacrer leur temps à veiller à l’administration et la défense de la République, pratiquer l’art, la philosophie, la politique.
Et pourtant, Caton l’Ancien disait aussi en rien faisant, on apprend à mal faire et Horace que l’oisiveté est une dangereuse sirène qu’il faut éviter.
Ces contradictions apparentes ont conduit les époques suivantes à faire passer l’oisiveté, qui était une valeur aristocratique, au statut de « mère de tous les vices ».
Mais le choix des mots peut être trompeur
- L’oisiveté désigne une absence d’activité rétribuée, qui permet de se consacrer aux choses nobles ou agréables. Elle n’est pas forcément inactive !
- Le loisir concerne des activités non rétribuées que l’on pratique pour son agrément personnel ou pour un temps, afin de se reposer avant de reprendre le travail plus efficacement !
- C’est la paresse qui est une réticence à l’effort quel qu’il soit (mais le paresseux ne nie pas la valeur de l’effort… pour les autres).
- La fainéantise est le penchant à ne rien faire du tout (« fait néant » – certains diront « feignant », pour celui qui feint de travailler, ce qui n’est guère plus élogieux).
- Enfin, la procrastination est simplement une tendance à remettre systématiquement la moindre tâche à plus tard.
Au Moyen-âge, on parlait aussi de l’acédie, un mal de l’âme, une torpeur spirituelle mélancolique qui pousse à négliger les activités (spirituelles dans le cas des moines), et à laquelle on tentait de remédier en imposant un travail manuel.
Dans Le Droit à la paresse (1880) le très marxiste Paul Lafargue dénonçait l’image du travail en tant que valeur sociale. Un thème souvent repris depuis… Mais ne parlait-il pas plutôt d’oisiveté ?
Culturellement parlant, on voit que les traductions en langue étrangère sont parfois révélatrices : le farniente italien nous apparaît plutôt comme un mode de vie, alors que le mot allemand qui désigne le paresseux, faul, est le même que celui qui désigne un fruit pourri. Autres pays, autres moeurs…
A notre époque où le chômage écarte nombre d’entre nous du monde du travail, ce qui peut apparaître comme une finesse de vocabulaire n’est pas anodin : privé d’activité rétribuée, qui s’attachera à enrichir ses savoirs, qui se consacrera à des tâches « oisives » au profit de tous, et qui sombrera dans la paresse, voire d’autres travers plus pernicieux encore ? Attention, danger !