La belle ordonnance des défilés militaires d’aujourd’hui était-elle déjà pratiquée chez les Egyptiens, les Grecs et les Romains ?
Aux temps modernes
Le « pas cadencé » n’est évoqué qu’à partir de la Renaissance, avec la redécouverte des auteurs anciens. Dès 1521, Machiavel appelle ainsi à faire marcher les troupes au son du tambourin, pour que le pas s’accorde à son rythme.
Mais c’est la rapide ascension de la puissance militaire Prussienne sous Frédéric-Guillaume et Frédéric II, au milieu du 18e siècle, qui conduit la France à s’intéresser à ses méthodes de formation militaire.
En particulier, les Prussiens pratiquent la « marche en ordre serré » qui réduit la distance entre rangées consécutives, jusqu’à une soixantaine de centimètres, voire moins. Avec un tel écart, on ne peut que marcher au pas, sous peine de heurter le talon du soldat qui précède.
A cette époque, le Maréchal de Saxe préconise aussi de faire marcher les armées au pas cadencé, et ce n’est pas l’esthétique d’un tel défilé qui le préoccupe: tout ce qui peut améliorer la cohésion du groupe a un effet positif aussi bien sur la manoeuvre des troupes que sur la psychologie des hommes.
Ils sont unis, se sentent plus forts, et si l’un tombe, on resserre les rangs, et le groupe poursuit son avance. Les chants et la musique militaire n’ont pas d’autre rôle: améliorer la cohésion et le mouvement des armées, redonner de l’élan au soldat, réduire la sensation de fatigue. De plus, la marche à une cadence connue permet au commandement de prévoir le temps nécessaire à parcourir une distance donnée.
Dans ces mêmes temps qui marquent une évolution rapide de la mécanique, on s’intéresse de près aux automates, et le mécanisme de la marche est étudié sous cet angle: on tente de l’améliorer avec quelques fantaisies comme la marche jambe tendue et dos raide, ou, jusqu’à nos jours, le pas de l’oie. Les militaires eux-mêmes doutent de l’efficacité de ces inventions mais, lors des parades, le but est ailleurs.
Dans l’Antiquité
L’interprêtation des fresques ou des vases peints est hasardeuse. On voit bien des hommes marchant du même pas, mais les chevaux, attelés aux chars, font de même et, là, il ne peut s’agir que d’une convention esthétique.
Le seul traité militaire romain qui nous soit parvenu est celui de Végèce, « de Re Militari« , et il ne date que de la fin du 4ème siècle de notre ère. Il souligne l’importance, pour une troupe, de marcher ensemble, chacun tenant bien sa place dans le rang.
Il précise même la vitesse à laquelle se déplacent les soldats, qui couvrent 20 milles romains en 5 heures (soit 6 km/h) et, au mieux, 24 milles, soit 7 km/h.
On ne peut pas en conclure que les soldats romains marchaient du même pas, et, quand bien même ils auraient avancé au pas cadencé, certains avançaient peut-être le pied gauche pendant que d’autres avançaient le pied droit! Les citations antérieures (Arrien de Nicomédie et Frontin au 1er siècle) ne nous éclairent pas davantage.
Les parades et les triomphes, comme bien des manifestations romaines, faisaient appel à des tubas (l’instrument à vent ressemblant à une trompette rectiligne) et des buccins. Dans ces conditions, on peut logiquement supposer que, par simple réflexe, les soldats marchaient en phase avec le rythme de la musique.
Les Spartiates étaient réputés marcher en cadence au son de la flûte, ce qui n’implique pas non plus que leurs pas soient parfaitement synchronisés. Ailleurs, avant d’attaquer, les soldats faisaient en mesure le plus de bruit possible pour impressionner l’ennemi: ils frappaient leur bouclier au même rythme.
En ordre de bataille, on peut penser que les pas s’adaptaient à l’avancée du groupe. Avec des formations comme la célèbre « tortue » chez les Romains, les rangs des hoplites grecs ou les phalanges macédoniennes qui portaient en avant plusieurs rangées de soldats armés de sarisses (des piques longues de 5 mètres et parfois près de 8 mètres), on voit mal les soldats avancer chacun à son propre rythme… peut-être s’accordaient-ils par commodité, comme les couples qui marchent main dans la main.
Mais rien ne dit qu’ils marchaient tous du même pas à la manière dont nous l’entendons aujourd’hui, et nous n’avons aucune certitude à ce sujet. En tous cas, il est vraisemblable que les troupes ne marchaient pas en cadence pendant leurs déplacements ordinaires ou lors des patrouilles, comme on le voit dans certains films hollywoodiens.
La question est d’importance et mal éclaircie pour l’existence du pas cadencé dans les armées antiques. Le gal Bardin pensait qu’il existait. Pour la tortue, il me semble qu’il faut une coordination des mouvements et donc des pas, il est certainement nécessaire pour l’emploi des grandes sarisses. Les représentations des soldats égyptiens donnent aussi à penser qu’ils pratiquaient le pas cadencé. On le retrouve chez Sun Tzu et les armées chinoises. Les mouvements collectifs ont un rôle sociétal qui a tendance à disparaître dans nos sociétés européennes actuelles, mais ils sont très présents chez les asiatiques (chinois, coréens, japonais). Il faut y voir l’influence de Ludwig Jahn, fondateur du mouvement gymnique allemand. Le sujet mériterait d’être éclairci.
Il est vrai que certaines manoeuvres en rangs serrés obligent quasiment à synchroniser les gestes. On imagine mal les rameurs des galères sans cette synchronisation, ni même le « ho-hisse » des marins (encore que dans ce cas, les mouvements puissent être « en opposition de phase », comme diraient les physiciens, c’est-à-dire que certains auraient la main gauche en avant, tandis que ce serait la main droite pour d’autres). Pour les représentations égyptiennes, rien n’est sûr, il peut s’agir d’une convention artistique: on y voit aussi les animaux (boeufs, chevaux tirant un char) marcher au pas, ce qui serait curieux dans la réalité…
Le pas cadencé étant lié au rythme, il est vraisemblable que son utilité militaire ait été vite découverte .
Du pas de la Légion étrangère jusqu’au pas de gymnastique ,deux exemples actuels, , la fréquence des foulées est si différente que cette » boîte de vitesses » qu’à toujours été le pas cadencé a dû paraître évidente dès qu’il s’est agi de de se déplacer en troupe constituée.
Comment ne pas évoquer le rythme de nage des rameurs sur les galères , également ? Une problématique similaire à celle du pas cadencé, ce me semble.
Raisonnablement , pourquoi les militaires de l’Antiquité se seraient privés de cet outil simple et efficace ?
Il est vrai que, vu de notre époque, cela paraît évident… et vous avez raison, le rythme des galériens imposait à l’évidence de synchroniser les mouvements. De même sans doute que l’avancée des phalanges… Pour le reste, je n’ai pas de certitude. En tous cas, ce qui est évident aujourd’hui ne l’était pas tant que cela il y a moins de 3 siècles, autrement le Maréchal de Saxe n’aurait pas eu à l’imposer…