Un autre sujet d’actualité: la technologie est-elle favorable à la culture? On pourrait le croire: alors qu'il fallait autrefois courir les bibliothèques pour trouver quelques documents, il suffit le plus souvent de se connecter à internet et, en quelques secondes, presque tout est accessible. Et les exemples sont innombrables. Si l'on appelle Culture ce qui rapproche les humains, ce qu'ils possèdent en commun dans leur façon de vivre comme dans leur histoire, on peut cependant s'inquiéter. Car tout n'est pas si simple.
Les possibilités infinies qui s'offrent désormais sont passionnantes certes, mais à la fois pernicieuses et contradictoires. D'un côté, elles poussent à une "mondialisation culturelle" insipide (les racines de l'un ne sont pas celles de tous), et de l'autre, elles peuvent conduire nos adolescents non à s'ouvrir, à découvrir le monde, à rencontrer, mais à s'enfermer dans ce qu'ils connaissent déjà. A échanger des SMS avec leurs camarades sans lever le nez pour en rencontrer de nouveaux. Lorsqu'un musée propose ses audioguides sur console de jeux, parfait. Que le jeune visiteur joue sur sa console sans regarder les oeuvres, quelle horreur!
Un touriste sud-africain peut parfaitement prétendre découvrir la France, sa langue et son art, et passer devant le Pont du Gard en suivant, sur son portable, le match de football qui se tient à Johannesburg et commenté en afrikaans. L'infinie variété des sources d'informations permet surtout à chacun de pouvoir écouter ce qu'il veut entendre, en ignorant le reste. Ni la culture, ni la démocratie n'en sortent grandies.
Il convient parfois de s'arrêter et de réfléchir au côté obscur de chaque nouveauté. Amusez-vous à chercher, à faire chercher autour de vous les effets pervers de telle ou telle invention. En être conscient, c'est déjà revenir aux valeurs essentielles. Commençons par nous demander si cette invention est utile, et ce n'est pas facile, car les petits génies du marketing font de leur mieux pour le dissimuler.
Avec le "dernier modèle" qui fascine, la course à la performance a remplacé la course aux armements dans sa spirale infernale sans pour autant profiter à tous. Si les objets se démodent, tant mieux. Sinon, il faut les rendre fragiles et indémontables. Ils n'ont même pas besoin d'être utiles, il suffit de vendre simultanément, comme dans l'inoubliable "Quota ou les Pléthoriens" (Vercors et Coronel, 1966), le gratte-dos et le poil à gratter. Mais passons.
L'automobile? Rapproche-t-elle, isole-t-elle? Outil de culture ou danger public? Là s'ajoute un autre facteur de "spirale infernale". Plus il y aura de routes, plus on vendra d'automobiles, disent les constructeurs. Plus il y a d'automobiles, plus il faut de routes, disent les politiciens. Ils s'y sont mis à deux pour boucler la boucle… L'un des plus jolis exemples est celui de l'ascenseur, véhicule ô combien inoffensif à première vue. Et pourtant, si le centre des villes reste désormais l'apanage d'une classe aisée, c'est bien lui qui en est responsable. Autrefois, les commerçants occupaient le rez-de chaussée, les "bourgeois" le second ou le troisième étage, et les étages supérieurs, moins faciles d'accès, abritaient toutes les classes sociales, qui pouvaient ainsi se côtoyer. Echanger, partager, côtoyer d'autres mondes, voilà ce qui, depuis des millénaires, donne une culture commune à un groupe humain. Un nouvel obstacle se présente à l'enseignement et la culture de nos jours: les propager, c'est aussi chercher à ouvrir les yeux de ceux qui ne sont pas tentés de voir.