L’île de Samos connut, plusieurs décennies avant Athènes, une gloire qui fut l’oeuvre d’un homme aujourd’hui très méconnu: Polycrate. Il faut dire que Polycrate (538-522 av.J.C.) est un personnage très complexe, capable du meilleur et du pire. Un « despote éclairé » bien avant l’heure, fin diplomate, amateur d’art et grand bâtisseur, mais aussi un arriviste et un pirate sans scrupules..
Fils d’un riche habitant de Samos, Polycrate se révèle alors que Cyrus II, le fondateur de l’Empire perse (roi vers 559 à 530 av.J.C.), vient de vaincre Crésus, le roi de Lydie, et menace désormais les îles de la côte d’Asie mineure. Dans cette période de tension, Polycrate prend le pouvoir avec ses deux frères et fait assassiner l’aristocratie de l’île. Il tue ensuite son premier frère et exile le second: le voilà dictateur incontesté.
C’est aussi un pirate : il constitue une flotte de 100 galères (pentécontères) et une armée de 1000 archers, pille et rançonne les îles voisines, réduit en esclavage les habitants de Mytilène et de Milet. Il met adroitement la main sur les relations commerciales des vaincus et noue des alliances avec les grandes puissances de son époque: Cyrène (en Lybie actuelle), Naxos et également l’Egypte du pharaon Amasis. Polycrate se retourne plus tard contre l’Egypte en s’alliant avec le roi perse Cambyse II, le successeur de Cyrus, qui va la conquérir en 525 av.J.C. et se faire couronner pharaon de Haute et Basse-Egypte. Il fait construire à cette occasion la première grande flotte de trirèmes, ces navires qui établiront 45 ans plus tard la gloire d’Athènes en remportant la bataille de Salamine.
Mais Polycrate n’est pas qu’un barbare, c’est un souverain avisé, protecteur des poètes, de la médecine, et Samos lui doit sa plus grande période de prospérité. Il fait creuser les fossés qui entourent sa capitale ainsi qu’un aqueduc souterrain pour l’alimenter en eau (le tunnel d’Eupalinos, cf. notre note d’info n°29), y fait construire son palais, et sa bibliothèque était une des rares de son temps. A la même époque, Samos possède aussi un temple d’Héra auquel tous les pays de la Méditerranée orientale font de nombreuses offrandes (aujourd’hui exposées au musée de Vathy, capitale moderne de Samos) et une grande jetée de 300 mètres protégeant le port.
S’il reste peu de chose du port antique, la ville ancienne est semée de vestiges grecs et romains. Hérodote, le grand historien grec (848-420 av.J.C.) nous dit (livre 3, 60): « J’ai parlé plus longuement des Samiens parce qu’ils sont les auteurs des trois plus grands ouvrages que possède la Grèce« . Il décrit alors le tunnel d’Eupalinos (long de 1036 m, percé par deux équipes qui se rejoignirent sous la colline), le temple d’Héra et la jetée du port.
Qu’ont en commun Pythagore, Aristarque et Epicure ?
Tous trois sont originaires de l’île de Samos. Si Pythagore (v. 580-495 av.J.C.) était contemporain de Polycrate, le philosophe Epicure (341-270 av.J.C.) est contemporain d’Alexandre le Grand, deux siècles plus tard. L’astronome et mathématicien Aristarque de Samos vécut pendant la même période (v. 310-230 av.J.C.). Samos n’avait pas perdu son prestige… Jusqu’aux Romains qui y construisirent des villas et des thermes dont les murs sont encore visibles.
Pythagore se serait lui-même qualifié de « philosophe » (ami de la sagesse), inventant le mot. Il voyagea en Asie mineure et dans les îles grecques. Il passa aussi plusieurs années en Egypte sous le règne d’Amasis et y étudia la géométrie et l’astronomie des Égyptiens. Son théorème en aurait-il été inspiré ? Son souvenir a surpassé celui de Polycrate dans la mémoire des Samiens, et la ville antique de Samos porte désormais son nom : Pythagorion. Sa statue se dresse fièrement sur le port.