Un portrait n’est pas que la représentation d’un personnage, encore faut-il qu’il ressemble à son modèle et, si possible, exprime son caractère. En Egypte, où l’on a de tous temps représenté le roi, la question de la ressemblance est controversée.
On estime aujourd’hui que les sculpteurs tenaient compte du visage royal, mais faisaient passer les symboles avant la ressemblance, comme dans bien d’autres domaines. Les portraits-robots établis à partir de la forme du crâne de certaines momies n’ont pas donné de résultats concluants. Le mouvement artistique propre à l’époque d’Aménophis IV – Akhenaton aurait-il fait un effort en ce sens? Il est peu vraisemblable que le pharaon ait eu le visage aussi étiré, il s’agirait plutôt d’une vision esthétique propre à son règne.
D’ailleurs, en Egypte ancienne, qui se soucie de la ressemblance? On représente le roi pour deux raisons: à des fins politiques pour illustrer son pouvoir et sa gloire, et pour lui donner la vie éternelle, par une image qui sera plus durable que son corps.
Qui a inventé la ressemblance?
Il semble que les peintres chinois aient eu le souci de la ressemblance dès la dynastie Han (206-141 av. J.-C.) et peut-être bien avant, mais ont-ils été les premiers?
De notre Antiquité, chacun connaît la sculpture, les mosaïques et les peintures figées sur les vases par la cuisson des céramiques. Existait-il des tableaux? Y avait-il des portraitistes talentueux? Oui, en Grèce, et surtout à partir de l’époque hellénistique. Le nom de nombreux peintres (hommes et femmes) nous est connu. Car dans ce domaine aussi, les Grecs faisaient jouer leur sens de l’esthétique, leur amour du vivant et leur esprit de compétition, chacun faisant étalage de virtuosité pour surpasser ses confrères.
Le plus célèbre est Apelle (371-307 av. J.-C.), le peintre favori d’Alexandre le Grand, dont les auteurs romains chantèrent la louange. Dommage qu’aucune de ses œuvres ne nous soit parvenue! Il faut dire que la peinture ne résiste pas aux siècles comme la sculpture ou la mosaïque. Difficile donc de parler du talent de peintres dont on ne connaît aucune œuvre…
A Rome, le portrait est essentiellement un outil politique de pouvoir et de prestige. Les statues et bustes des empereurs sont omniprésents.
Comment juger de leur ressemblance? On dispose parfois du témoignage écrit d’un auteur contemporain, et si des œuvres réalisées indépendamment les unes des autres affichent des traits communs marqués, c’est aussi un indice. Mais bien des statues ont été produites en série, copiées et recopiées à partir d’un modèle officiel. Le sculpteur réalisait même des statues d’empereurs à tête échangeable, afin de pouvoir suivre à moindre coût les aléas de l’actualité.
De même, les monnaies ne manquent pas de représenter le détenteur du pouvoir impérial qui se confond avec celui de l’argent, mais ceci n’est pas nouveau: le portrait monétaire avait été utilisé dès 410 av. J.-C. par les satrapes, en Lycie, une région Perse au sud de la Turquie actuelle.
En fait, les Romains avaient peu d’estime pour les peintres, et les auteurs latins en parlent rarement. Ils avaient recours à des artistes grecs dont les œuvres étaient copiées, parfois même en mosaïque, comme la célèbre représentation d’Alexandre le Grand et du roi perse Darius III, qui s’inspire d’une peinture hellénistique. Plus tardivement, les Romains semblent même avoir engagé des peintres esclaves. L’expression du talent n’y gagnait pas vraiment.
Quelques peintures murales, dans les villas romaines de Pompéi et des alentours, nous sont parvenues, protégées par la cendre.
Il s’agit très majoritairement de décorer les murs, avec quelques exceptions, dont le portrait du boulanger Terentius Neo et son épouse. Il semble bien que ce soient alors de véritables portraits, avec une innovation: le peintre attire souvent l’attention du spectateur sur quelques accessoires décrivant le personnage dans son activité, et non sur sa seule apparence.
Les « portraits du Fayoum »
Voici une exception de taille à cette absence de portraits à l’époque romaine, puisqu’on connaît près de mille œuvres! Les portraits funéraires dits « du Fayoum » ont été trouvés initialement dans la région de Basse-Egypte qui porte ce nom. Ils étaient certes réalisés en matériaux périssables (sur panneaux de bois très fins, plus rarement sur lin, peints à la cire d’abeille chaude ou froide), mais le climat de l’Egypte les a préservés comme tant d’autres objets précieux.
Ils représentent les membres de familles aisées (les autres pouvaient éventuellement s’acheter des peintures toutes faites… et bien sûr sans ressemblance) et sont généralement réalisés du vivant du personnage. Ils pouvaient être encadrés et exposés à la vue de tous mais, à son décès, le portrait était découpé pour devenir le masque mortuaire du sujet, momifié comme il se doit selon la pratique égyptienne. On comprend ainsi son visage grave: il n’ignorait pas ce qu’il adviendrait de son image…
Ces peintures furent réalisées par des artistes formés à l’école picturale grecque, qui s’était implantée en Egypte dans la suite de la dynastie grecque des Ptolémée. Peinture grecque donc, mais en usage sous l’occupation romaine entre le 1er et le 3e siècle, et adaptée à la coutume funéraire égyptienne de la momification…
Les héritiers de la peinture grecque antique
La momification et les portraits funéraires existaient encore au moment où le christianisme s’implantait dans l’Egypte romaine. Lorsque les premiers chrétiens voulurent garder le souvenir des saints martyrs, ils en conservèrent les portraits. Et si l’on considère de près les premières icônes byzantines (ci-contre), la filiation semble évidente. De là découlent des siècles de tradition picturale religieuse, jusqu’à ce que la Renaissance revienne… à l’esthétique antique!
Le portrait reprend alors sa valeur de prestige, exprimant le pouvoir ou simplement la richesse du modèle. C’est aussi un exercice de virtuosité auquel, comme dans l’Antiquité grecque, se livrent les plus grands, d’où l’autoportrait qui apparaît logiquement dès les débuts de la peinture profane.
Et de nos jours ?
Aujourd’hui, la peinture dédaigne la représentation fidèle du modèle. La photographie est passée par là, et les peintres se sont orientés vers d’autres recherches, passant de l’ « impression » que donne le sujet, à une représentation stylisée, voire abstraite.
Cependant, à ses débuts, la photographie, moins coûteuse que la peinture, n’était pas pour autant à la portée de chacun. Elle resta longtemps destinée à marquer les moments importants de la vie. Banalisée par la grande diffusion des matériels, devenue totalement gratuite et instantanée avec l’ère numérique, la signification de l’image a bien changé.
Le « selfie » n’est plus qu’un témoignage éphémère de la minute vécue…