L’éducation nationale est le poste le plus important du budget de la France, et – en perpétuelle augmentation – avoisine aujourd’hui les 65 milliards d’euros, sans compter l’enseignement supérieur qui en représente environ 26. Au total, elle représente près d’un million de salariés, pour 12 millions d’élèves. Comment ne serait-on pas tenté, en haut lieu, d’explorer quelques sources d’économies…
On pense immédiatement au progrès des techniques du télé-enseignement (qui devient de plus en plus interactif et performant), et des personnages virtuels. Un professeur de synthèse, maîtrisant parfaitement son domaine et disponible à la demande, 24h sur 24? Impossible, dira-t-on, un enseignant humain et réel (« en présentiel », dans le jargon du métier) reste incontournable.
Est-ce si sûr, alors que nos jeunes ont désormais plus de contacts virtuels avec leurs amis que de contacts réels? Bien sûr, cela concernerait d’abord l’enseignement supérieur et, parfois, des lycées dont les étudiants seront particulièrement motivés. Chacun étudiera face à son écran 3D, et les enseignants humains pourront se focaliser davantage sur le soutien scolaire, l’évaluation des niveaux, les travaux personnels et la recherche. Logiquement, on peut supposer que les matières les plus aisément confiées à l’informatique seraient celles des sciences exactes (mathématiques, physique, chimie…). Certes, mais elles sont aussi celles auxquelles on attache le plus d’importance (à tort ou à raison) dans notre société technologique.
En revanche, l’enseignement des langues étrangères à distance est parfaitement courant (la célèbre méthode Assimil date de 1929) et, devenu audio-visuel puis interactif, se traduit non sans succès par une offre abondante sur internet, pour débuter ou se perfectionner, que l’on soit adulte ou étudiant. Mais au fait: les langues anciennes, comme le latin et le grec, ne sont-elles pas des langues étrangères? Rarement parlées, il est vrai, mais leur enseignement n’est pas mort pour autant et se maintient à un niveau appréciable. 18% des collégiens et 6% des lycéens suivent des cours de latin (plus de 500000 élèves pour le latin, 35000 environ pour le grec ancien).
Bien sûr, on peut s’interroger sur le fait que 2/3 des collégiens abandonnent le latin en passant au lycée, mais ceci est un autre débat. Pour l’heure, pensons aux revendications essentielles des professeurs, qui se plaignent actuellement des menaces sur la formation des enseignants dans ces domaines, avec le risque de « déserts éducatifs » dans des régions où il est difficile de suivre des cours de latin et plus encore de grec. Car, si l’enseignement des « humanités » n’est plus obligatoire depuis longtemps, ils demandent avec raison qu’il reste accessible à qui le souhaite.
La solution viendra-t-elle d’un Platon ou un Aristote de synthèse revenu parmi nous pour converser avec ses élèves sur une agora virtuelle plus attrayante qu’une salle de cours? La technologie existe et s’améliore sans cesse. En attendant, un même enseignant peut déjà regrouper aujourd’hui, dans une classe virtuelle, un ensemble d’étudiants dispersés dans la nature. Ceci était explicitement prévu dès 1997 avec le plan Renater 2, et testé depuis notamment en Limousin, en Auvergne, puis dans le Pas de Calais, dans la région nantaise.
Mais cela ira sans doute plus loin et, dans toutes les matières, les traditionnels « cours magistraux » pourraient bien disparaître. Il y a cinquante ans déjà, on critiquait les professeurs qui se contentaient de régurgiter le contenu des manuels. Aujourd’hui, alors que tout le contenu du cours est déjà accessible sur internet, les élèves ne croient plus aux vertus du cours magistral, et se dissipent plutôt que de l’écouter.
Ne nous étonnons donc pas si les pouvoirs publics choisissent un jour de favoriser cette voie, pour des raisons organisationnelles peut-être, pédagogiques peut-être, financières certainement. Qu’en penserez-vous alors?
Proche est peut-être le moment où les étudiants seront, selon le vieil adage, « heureux qui, comme la rivière, peut suivre son cours sans sortir de son lit ».