Malgré les effectifs d'élèves étudiant le Latin et/ou le Grec dans le secondaire en France qui se maintiennent autour de 550 000 (au second rang des langues enseignées au collège après l'anglais), le recrutement de professeurs de Lettres Classiques connaît depuis plusieurs années une véritable pénurie ne permettant pas de compenser le nombre de départs en retraite. Les modifications apportées récemment aux épreuves du concours du Capes de Lettres Classiques (Certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré) compliquent encore les choses.
Que devient l'Humanisme ?
Alors que notre société se laisse dominer par la technologie et la finance, faut-il renoncer à l'humanisme? J'aurais plutôt tendance à penser le contraire. Certes, il n'est pas indispensable d'avoir "fait du latin" ou du grec pour être humaniste, et un vieil oncle passionné, un professeur d'histoire qui sait exprimer la fascination de l'Antiquité, ou même de simples lectures bien choisies peuvent ouvrir les esprits à la racine essentielle de notre pensée. Qui veut donc tuer l'Humanisme? Personne, bien sûr, mais en période de crise, les priorités semblent simplement être ailleurs.
Etre humaniste c'est bien, mais cela aide-t-il à trouver du travail? A quoi bon un humaniste chômeur? J'en suis venu à me demander si la culture n'est pas, dans son ensemble, menacée par la crise économique. Si, comme le fait dire Bertolt Brecht à l'un des personnages de l'Opéra de Quat'sous: "d'abord la bouffe, ensuite la morale".
Bref, cette crise économique entraînera-t-elle une crise culturelle? S'il en est ainsi, le vieux rêve social d'une élévation culturelle touchant jusqu'aux classes les plus défavorisées semblerait relever de l'utopie… Voyons donc, me suis-je dit, comment se porte l'enseignement classique dans les pays du nord et du sud, puisque c'est bien ainsi que l'on distingue les "euro-riches" des "euro-pauvres".
Culture pour riche, inculture pour pauvres?
Selon les informations que j'ai reçues de différents contacts (je les remercie tous ici collectivement, et il se reconnaîtront), la France, l'Italie et l'Espagne cèdent progressivement du terrain. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada (j'en ai parlé précédemment) partent certes de plus bas, mais leur intérêt semble s'accroître, encouragé aussi par des prises de position gouvernementales favorables.
En Suisse et en Allemagne, tout semble bien se passer, le grec reste une référence philosophique. L'enseignement allemand du lycée (Gymnasium) encourage toujours les futurs médecins et juristes à l'examen du "Latinum", et le latin n'est pas un cours facultatif: il constitue une option à part entière, comme chez nous le choix d'une 2ème ou 3ème langue. Le latin reste une façon de s'approprier la culture européenne, un socle pour l'enseignement des langues latines vivantes (alors que l'enseignement du français y est en perte de vitesse…). En témoigne aussi le soin accordé à la conservation du patrimoine archéologique romain pendant que Pompeï se dégrade. Bien sûr, me dira-t-on, la Suisse est l'un des rares pays qui utilise trois langues latines (le français, l'italien, et le romanche dans les montagnes des Grisons). Bien sûr l'Allemagne a été très touchée par la naissance de l'humanisme avec les disciples des Erasme, des Dürer, puis la passion suscitée par les Romantiques qui faisaient le "grand tour", enfin les découvertes de Schliemann à Troie et à Mycènes. Le latin reste également obligatoire dans certaines filières en Autriche, au Danemark et aux Pays-Bas.
Mais qui a été le plus marqué sur son propre sol par les Romains et les Grecs? Même si le latin reste très enseigné en Italie – où l'on retrouve en sa faveur les mêmes arguments qu'en France – les tendances d'une "rénovation des disciplines" ne jouent pas en sa faveur. L'Espagne suit les mêmes tendances. Quant à la France, on sait ce qu'il en est… Alors, scission nord-sud ? La "crise" n'est pas la seule explication: dans les pays "riches" cités, l'enseignement et le secteur public en général ont moins de réticences à se rapprocher du Privé, et n'ont pas de honte à rechercher des mécènes. Une émulation profitable sur tous les plans: les musées, l'archéologie, l'enseignement. Il y a toujours davantage de collectionneurs privés dans ces pays du nord, y compris aux Pays-Bas et en Belgique, alors que dans le mécénat français, les programmes actuels se teintent davantage d'humanitaire que d'humanisme.
Une exception remarquable et rassurante
Je n'affirme pas que la culture est réservée aux pays riches: la Grèce, pays peu matérialiste s'il en est, constitue un superbe contre-exemple car non seulement tous les élèves apprennent le grec ancien au collège, mais plus du quart d'entre eux étudient le latin (notamment pour les juristes), et ce chiffre reste remarquablement constant. Dans ce domaine au moins, pas de crise ! Avis donc aux autres pays: n'abandonnez pas nos racines, car si la crise économique est certainement passagère, la crise culturelle qui pourrait s'y installer risque d'être, elle, irréversible. Et selon les Grecs, la crise elle-même aura peut-être moins de conséquences que l'idée que l'on s'en fait actuellement dans le monde.