Les diplômes militaires romains

Le service militaire des Romains résultait d’une organisation complexe, avec des procédures de recrutement, d’engagement volontaire, d’exemption d’enrôlement, des mobilisations annuelles ou non, etc.

C’était aussi le cas en France, avant la disparition, votée en 1997, du service militaire qui avait été institué en 1798. Mais c’est la durée de ce service qui fait toute la différence!

En France, elle varia fréquemment, avec un maximum exceptionnel de 8 ans (en 1824) et de 10 mois dans les derniers temps.

A Rome, sa durée variait également au cours des siècles mais, en gros, le citoyen romain était mobilisable pendant 10 ans dans la cavalerie, 20 ans dans l’infanterie, 26 ans dans la marine. Au 1e siècle de notre ère, le service dure 16 années pour les légionnaires et 10 ans pour les prétoriens (garde impériale). Le traitement des non-romains était totalement différent à bien des égards, et sous l’Empire, ils devaient servir pendant au moins 25 ans, généralement en tant qu’auxiliaires.

Diplôme militaire romain, British museum
Diplôme attribué par Trajan au décurion Reburrus, d’origine Ibère (Londres, British museum – Photo ©maquetland.com/ amm34.com)

Ainsi, on conçoit aisément que le jour de la démobilisation était un évènement majeur dans la vie du soldat! En plus de sa liberté retrouvée, il bénéficiait de certaines largesses qui, elles aussi, variaient selon les époques.    Il pouvait s’agir de terres dans les provinces, d’une somme d’argent rondelette, d’une exemption d’impôt, de la citoyenneté romaine et du droit de mariage pour les enrôlés non romains, etc.

Tout n’était pas toujours simple, et la distribution de terres en Italie s’est heurtée à l’opposition des aristocrates. Et puis l’argent venait parfois à manquer : la solution était alors toute trouvée, il suffisait d’allonger la durée du service, comme vers la fin du règne d’Auguste. Comme quoi les vieilles solutions restent d’actualité.

La démobilisation

Il existait trois cas de démobilisation dans l’Empire romain:
– la réforme, quand le soldat devenait infirme par suite de maladies ou de blessures,
– la conduite déshonorante, qui rendait indigne de servir Rome,
– et, ce qui nous intéresse aujourd’hui, la « missio honesta », une certification de bonne conduite, qui accompagne l’achèvement de la durée réglementaire ou parfois une récompense pour faits exceptionnels.

C’est dans ce dernier cas que les services de l’empereur établissaient un « diplôme militaire » qui était remis aux bénéficiaires à titre individuel ou, plus rarement, à une unité entière.

Attribution du diplôme

Les légions, réparties principalement le long des frontières, étaient constituées de citoyens romains. Cette distinction a pu cependant devenir secondaire à partir de 212 après J.-C., lorsque Caracalla accorda la citoyenneté romaine à tous les habitants de l’Empire.

Le diplôme était établi suite à une Constitution (un édit) de l’empereur, sans doute au terme d’un long processus administratif et sur proposition des commandants d’unités. Une fois la liste des bénéficiaires approuvée par l’empereur, la constitution était inscrite sur une plaque de bronze affichée publiquement à Rome. Il y en eut sans doute plus de 400, mais aucune ne nous est parvenue, si ce n’est peut-être un fragment conservé au Musée romain de Weissenburg, en Allemagne. Les copies destinées à chaque bénéficiaire étaient réalisées, vérifiées par sept témoins et scellées, avant d’être envoyées aux unités et remises aux vétérans.

On en connaît plus de mille exemplaires, ce qui ne représente sans doute qu’une très faible partie des diplômes militaires réalisés pour les provinces frontalières et pour tout l’Empire.

Comment se présente un diplôme?

Le diplôme se compose ordinairement d’un ensemble de deux plaques de bronze rectangulaires inscrites sur les deux faces, d’un format proche de notre feuille de papier A4 ou demi-format (A5), assemblées face contre face par des fils de bronze, le tout étant fermé par un sceau.

Le texte est le même sur les faces visibles et scellées: il est ainsi lisible sans séparer les plaques, mais son contenu peut être vérifié, en cas de doute, en brisant le sceau.

S’agissant d’un document juridique, la structure du texte varie assez peu: nom et titres de l’empereur régnant, date de la constitution, liste des unités concernées par celle-ci en précisant la région et son gouverneur (ou le nom de la flotte et son commandant).

Suivent les informations personnelles concernant le bénéficiaire, et souvent sa famille qui peut également être concernée par les privilèges accordés, notamment la citoyenneté.

Quelles régions, quelles unités?

Les diplômes connus concernent principalement les forces auxiliaires longeant la frontière. On peut penser que leur remise était plus fréquente dans ces régions fortement défendues, mais les incursions ennemies ont peut-être contribué à les oublier sur place alors que, dans d’autres régions, le bronze, métal coûteux, a pu être réemployé à d’autres usages.

Comme les diplômes citent l’origine du destinataire, on constate que la région du Danube était un lieu majeur de recrutement pour les forces auxiliaires romaines au début de l’Empire.

Les plus anciens datent du premier siècle (règne de Claude), les derniers de la fin du 3e siècle. Les plus courants sont ceux de Trajan, d’Hadrien et d’Antonin le Pieux (2e siècle). Ils concernent surtout les gardes prétoriennes, la cavalerie et la marine. Vous voudriez les collectionner? Euh… ils ne sont pas à la portée de chacun!

Un exemple: le diplôme de Deultum

En Bulgarie une petite plaque de bronze de 4 cm2 a été découverte en août 2019 sur le site de Deultum, à 17 km au sud-ouest de l’actuelle Bourgas, sur la mer Noire. Elle atteste qu’un vétéran a bien accompli ses 25 années de service dans l’armée romaine et, en lui accordant le statut de citoyen romain, elle représente un témoignage de la situation locale au sein des colonies romaines de ce pays (en Bulgarie actuelle, deux autres colonies romaines longeaient le Danube: Ratiaria et Ulpia Oescus, fondées par Trajan).

Monnaie de cuivre, Deultum, Thrace (Gordien III, 240-244), 22 mm – (photo © CGB)

L’empereur Vespasien donna l’ordre, en 69, de fonder la Colonia Flavia Pacis Deultemsium (Deultum), ce territoire étant accordé à des vétérans de la Legio VIII Augusta, au nombre de 400 à 800, en récompense de leurs services.

Son site archéologique couvre aujourd’hui deux hectares et demi. La ville romaine de Deultum abritait des temples dédiés à Esculape, Cybèle et Hercule et possédait son propre atelier monétaire.

Bastion face aux entreprises barbares, elle a connu huit incendies du 2e au 5e siècle, dont les Huns et les Goths furent les principaux auteurs.

La christianisation étendit ensuite son influence sur Deultum, qui devint même le siège d’un archevêché au 5e siècle. Elle resta par la suite un important poste de douane pour l’empire romain d’Orient (plus communément appelé byzantin après la disparition de celui d’Occident).

Deultum n’aurait pas pu subsister sans des soldats non romains d’origine. Mais grâce au diplôme, ceux-ci acquirent la citoyenneté en récompense d’un quart de siècle de service, de discipline rigoureuse, de blessures au combat (fréquentes) contre les barbares, et, en théorie, de célibat… Car une étude (M.T. Raepsaet-Charlier, 1978) montre que les vétérans ne regagnaient pas tous leur province d’origine: la majorité d’entre eux se fixaient dans leur province de garnison, sans doute pour de bonnes raisons!

Revenons pour terminer à notre plaque retrouvée à proximité de la Mer Noire. Ce diplôme décerné en 122 par l’empereur Hadrien est octroyé à un ancien combattant et lui donne la citoyenneté romaine, ce qui montre bien qu’il ne la possédait pas auparavant: c’est donc l’un de ces auxiliaires qu’utilisait l’armée impériale à côté de ses légions.

Jean-Guillaume Duflot    

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2 réponses à Les diplômes militaires romains

  1. Jean-Guillaume Duflot dit :

    Il semble que les auxiliaires seuls bénéficiaient des diplômes, comme l’indique, en creux, la citation latine sur le diplôme d’un ancien légionnaire « qui ne serait pas concerné » s’il n’avait servi dans la Flotte, force auxiliaire, suffisamment longtemps pour être naturalisé: « veterani ex legionibus instrumentum accipere non solent ». D’ailleurs, après l’édit de Caracalla , le diplôme perdait son utilité. Il me semble que le diplôme est une reconnaissance de citoyenneté bien plus qu’un document de démobilisation.

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